La «révolution marocaine» : un modèle à suivre ?

Alors que la Libye et la Syrie plongent dans les affres de la guerre civile, tandis que l’Égypte et la Tunisie se débattent dans les inévitables bégaiements de la transition démocratique, deux pôles de stabilité sont en train d’émerger dans le monde arabe en fièvre. Le premier, à l’est, est constitué de l’Arabie saoudite et de ses principautés vassales et clientes du golfe Persique. Et, paradoxe, à l’autre extrémité occidentale du monde arabe, un second pôle semble, pour l’instant, exprimer une solidité politique inattendue.

Cette stabilité maghrébine s’exprime pour l’instant dans la sagesse politique, à l’apparence opposée mais en réalité complémentaire de l’Algérie et du Maroc. S’agissant de l’Algérie, on peut tout de suite constater la combinaison surprenante de forces et de faiblesses qui, pour l’instant, parviennent à fonctionner en phase, même si une dynamique sociale constructive fait encore dramatiquement défaut.

Tout autre est la conjoncture marocaine. Les rentes en matières premières – exception faite des phosphates – ont toujours durement manqué à l’économie marocaine. Le pays a donc dû miser avant tout sur les capacités productives de son artisanat, sur des industries de consommation dont la progression est incontestable et sur une ouverture au monde qui se traduit aujourd’hui par un tourisme important. Mais au total, avec une population comparable, le Maroc n’a jamais eu les facilités financières dont l’Algérie a toujours pu disposer. Et pourtant, c’est ce pays difficile qui est aujourd’hui porteur des plus grands espoirs politiques que l’on peut concevoir pour un Maghreb enfin en voie d’unification.

À la base de tout, il y a cette très originale monarchie alaouite, dont le roi Mohammed V réussit à établir, dans la lutte pour l’indépendance des années 1950, une véritable refondation. Ce compromis historique a duré jusqu’à ce jour, malgré les très fortes tensions des années 1970 qu’eut à gérer, non sans mal, le successeur de Mohammed V, Hassan II.

Mais le contrat fondamental liant une monarchie modernisatrice à des partis nationalistes et socialisants légitimés par elle ne fut véritablement rompu ni d’un côté ni de l’autre, sauf pendant une brève période. C’est ce climat pluraliste, même partiel, qui permet aujourd’hui à Mohammed VI de transformer son héritage en radicalisant l’option démocratique et en instaurant un nouveau cadre qui bouleversera toute la donne.

Plutôt que de céder aux intimations de la rue, le roi a pris les devants, dans la continuité de l’héritage d’une monarchie marocaine que seule une frange minoritaire de l’islamisme conteste réellement. Il propose donc de réaliser en peu de temps la transition vers une monarchie parlementaire où l’instance législative issue du suffrage universel deviendra déterminante dans la conduite de la politique de la nation. En même temps, il propose que demeurent concentrés au Palais certains pouvoirs régaliens dont le consensus de l’opinion s’accorde à lui laisser la jouissance. Tout le reste sera soumis à la volonté d’une opinion majoritaire, qui n’a cessé de voir la sphère de son influence s’accroître. Déjà en 1974, Hassan II redonnait pleine légalité aux partis d’opposition ; à sa mort, son fils Mohammed VI étendait considérablement la sphère de la liberté d’opinion et les contraintes autoritaires sur le fonctionnement de l’État.

À présent, on peut avoir la certitude que le suffrage universel libre et secret deviendra absolument déterminant. Or, le paradoxe veut que les anciens partis, y compris socialistes, après avoir exercé un semblant de pouvoir, se sont beaucoup détériorés. La nouvelle génération marocaine voudra donc créer de nouvelles structures politiques qui n’existent pas encore, à l’exception des deux blocs «islamique modéré» du Parti de la justice et du mouvement berbère qui cherche à se réunifier. Entre ces deux massifs, le centre et la gauche traditionnelle pèseront d’un poids moindre, mais sans doute décisif pour des coalitions. Pour l’instant, l’opinion marocaine est réconciliée avec cette «révolution de velours» pilotée par le roi. Et il est évident que le succès de l’expérience marocaine pourrait avoir une incidence immédiate sur la mutation rapide et brutale de la Tunisie, lente et incertaine de l’Algérie. Pour l’instant, une fois de plus dans son histoire, le Maroc semble donc nous dire que la politique du pire n’est pas fatale et que des solutions pragmatiques peuvent encore l’emporter à temps.

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