Et Vergès a de nouveau disparu. Il exagère !
Il a bien fait de partir, ainsi il ne lira pas les journaux, n’écoutera pas sa nécro débitée par les haut-parleurs des radios et télés : un petit condensé de médiocrité et de honte par ceux-là dont le boulot est de cracher sur les tombes.
Il a bien fait de partir, ainsi il ne lira pas les journaux, n’écoutera pas sa nécro débitée par les haut-parleurs des radios et télés : un petit condensé de médiocrité et de honte par ceux-là dont le boulot est de cracher sur les tombes. Parlons du Monde, le journal de révérence. Payé par la confluence financière de l’inventeur du Minitel Rose et d’un marchand d’habits, un certain Franck Johannès se montre plus bas que d’habitude. Dans son journal – qui au même moment consacre la couverture de son magazine à glorifier le pisse-copie d’extrême droite Gérard de Villiers-, Johannes qui méritera bien le su-sucre qui vient en récompense à la fin bon numéro, nous dit de Vergès : « il navigue toujours sur la crête de l’antisémitisme »… Ah bon ? Où le noircisseur de pages a-t-il lu ou entendu un propos antisémite sous la plume ou dans la bouche du maître ? Peut-être que l’admirable Françoise Bloch qui a tenu la maison Vergès pendant 20 ans, a un point de vue sur cette question ? Et qu’il aurait été professionnel de la lui poser. En forme, ce Johannès, qui voit au travers des cœurs et des murs, qui lit dans les pensées, nous livre aussi, à propos du trou dans la bio du révolutionnaire : « la thèse la plus communément retenue serait qu’il était au Cambodge avec son ancien copain Pol Pot ». Voilà du journalisme au petit point : une thèse « communément admise » sur une vérité non démontrée. Heureusement, dans mes papiers je viens de retrouver un petit mot qu’Hubert Beuve-Méry avait eu la gentillesse de m’envoyer à l’époque où le Monde était le journal de référence. C’est un réconfort qui montre qu’on n’a pas toujours perdu le sens de sa vie, que l’on a vécu une époque où le journalisme n’était pas un métier mais un devoir.
Les techniciens de l’info, sur I Télé et BFM étaient également en bonne forme. Les uns et les autres ont trouvé juste de questionner longuement Gilbert Collard pour faire l’éloge funèbre de Vergès. Un député nourri au lait du Front National pour évoquer la vie et l’œuvre d’un défenseur du FLN, frère de toutes de révolutions et révoltes, indique la couleur de l’étrange liquide qui occupe le cerveau de ces interviewers. Sur France 2, Bécassine Drucker interroge Barbet Schroeder. Celui qui a signé le film « L’avocat de la terreur ». L’ignorante ne sait pas que Vergès a refusé de rencontrer celui qui prétendait mettre sa vie en long métrage. Pas grave. Chaque question commence quand même par « vous qui l’avez souvent rencontré pour votre film ».
Une anecdote vintage dans ce monde où la vérité n’a d’importance que sous la plume d’un Johannes ou dans les postillons d’un Collard. Un jour Régis Debray me confie qu’il « aimerait revoir Vergès »… Je téléphone au jubilatoire de la rue de Vintimille :
Ah ! Régis. C’est moi qui l’ai envoyé en Amérique du sud…
Ah bon…
Oui, je dirigeais alors la revue « Révolution ». Un jeune normalien a débarqué dans mon bureau, qui voulait « faire quelque chose pour la révolution ». Je lui demande quelles langues parle-t-il. Il me répond l’espagnol. Aussitôt je l’engage à sauter dans un cargo et à partir pour l’Amérique du Sud. Il revient six mois plus tard avec un reportage que j’ai refusé de publier. Il a confié le texte « Aux Temps Modernes ». Le papier a été lu par un ami de Castro qui a conseillé à Fidel d’inviter à Cuba ce jeune intellectuel français.
Chez moi, le dîner avec Debray fut émouvant. Toujours à la recherche de maîtres, Régis en retrouvait un sous forme de diable ironique. Le médiologue était redevenu le jeune homme de « Révolution ». Je me souviens qu’au moment où Jacques Vergès a quitté la maison pour finir son cigare dans la rue, Régis a pris soin de lui rajuster son écharpe sur le col. Comme si le Salaud Lumineux était précieux comme un trésor du temps.
Par : Jacques-Marie Bourget