Erdoğan menace-t-il la présidentielle française de 2022 ?

On y faisait déjà illusion avec la délicatesse d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. On l’a pressentait comme une inéluctable intrusion. Mais c’est la première que le ministre de l’Intérieur et des cultes, Gérald Darmanin, évoque avec autant de clarté et de certitude la menace turque sur l’élection présidentielle française.

Poussé dans ses derniers retranchements, le ministre n’a pas donné de preuves concrètes et indiscutables de ces dangereuses affirmations. Mais avec la moue, la posture et le regard déterminé de celui qui en sait plus qu’il ne dit, le ministre a jeté un énorme effroi sur ce scrutin cardinal de la vie politique française. Avant lui, Emmanuel Macron avait été plus affirmatif : « évidemment. Il y aura des tentatives d’ingérence pour la prochaine élection. C’est écrit, et les menaces ne sont pas voilées »

Les accusations de Darmanin, si éruptives qu’elles puissent paraître, n’ont pas surpris leurs audiences. Sans doute viennent-elles illustrer un état d’esprit et de guerre décelé chez le président turc Recep Tayyip Erdoğan  dans sa relation avec le président Emmanuel Macron.

Dans le bras de fer que les deux hommes se livrent sur de nombreuses crises  géopolitiques, Erdoğan avait couvert Macron d’insultes personnelles et politiques. C’est en se basant sur le mouvement politique dans lequel il exerce un incontestable magistère, la confrérie des frères musulmans, qu’ Erdoğan a donné une énorme coup de fouet à la campagne internationale de boycott de produits français pour « punir » la France d’Emmanuel Macron. Il lui fait deux reproches essentiels .

Le premier est d’agir sur le plan international pour compliquer le jeu politique turque et le mettre à l’index comme le fruit d’un pays pyromane, voire un ennemi de l’intérieur au regard de son appartenance à l’alliance atlantique.

Le second est la lutte française assumée et dynamique contre l’extrémisme religieux dont de nombreux acteurs sur le sol français se sont révélés des affidés de cette Turquie à la recherche de puissance et de domination.

La décision française de traquer le « variant turque » de l’islamisme radical à travers la fermeture des frontières françaises devant les imams, les financements et l’activisme turc a joué comme un révélateur de colère et de vengeance.

Le président Turc Tayyip Erdoğan est familier avec les menaces d’intervention extérieure.  Il l’avait testé dans sa proche chair. Ne vient-il pas, il y a à peine quelques mois de subir une violente charge de la part de son allié américain. Joe Biden, alors candidat démocrate à la Maison Blanche, s’était déjà engagé publiquement avec une fermeté et une clarté inédite à tout tenter démocratiquement pour faire battre le président Erdogan lors des présidentielles turques de 2023.

Par ailleurs, le leader turque avait lui même déjà été accusé d’ingérence électorale, notamment en Allemagne, quand il avait demandé aux électeurs germano-turcs de voter contre le parti d’Angela Merkel en 2017. La diaspora turque avait été utilisée comme une arme d’influence massive dans le jeu électoral allemand.

L’approche de Joe Biden à l’égard d’Erdogan révélait à quel point l’actuel président américain ne supportait plus l’autoritarisme et l’aventurisme du président turc et était prêt à tout envisager, politiquement, pour le faire tomber.

Dans ses menaces à l’égard de la France et même si les dernières postures de la Turquie d’Erdogan vont dans le sens de l’apaisement et de la réconciliation avec son voisinage notamment à la veille d’un sommet européen censé prendre des sanctions à l’égard d’Ankara , la tentation de se mêler des élections présidentielles françaises sera grande chez Erdogan.

Cette intrusion prendra la forme d’une activation de tous les relais turcs en France pour les pousser à s’investir dans la campagne électorale française au profit des adversaires d’Emmanuel Macron.  Il s’agit d’instrumentaliser les associations cultuelles et religieuses qui avaient participé à l’amplification de la colère turque contre la France.

Dans sa relation avec la France, Erdoğan avait essayé de s’imposer comme le parrain et le protecteur des musulmans de France contre « les racismes » et « les xénophobies » dont ils seraient victimes de la part de l’Etat français.  Avec un certain succès auprès de certains acteurs de l’islam de France qui s’étaient précipités à prendre place sous le parapluie turc. Cette volonté de vouloir exercer une forme de paternalisme sur les musulmans de France est une manière de montrer sa capacité à la faire réagir dans un sens comme dans un autre.

Le président turc, selon la logique des frères musulmans, croit déceler dans cette communauté un gigantesque réservoir électoral, lequel, s’il est mobilisé à dessein, pourrait agir sur tous les équilibres, entraînant les victoires comme les chutes. Erdoğan serait-il un grand électeur de la prochaine présidentielle française ? Un cauchemar pour Macron. Une aubaine pour ses adversaires.

 

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