Commémoration : le 19 mars 1962 vu d’Algérie
Alors que la commémoration de cette date fait polémique en France, les Algériens célèbrent la Fête de la victoire et attendent toujours des excuses publiques.
Pourtant, le 8 novembre 2012, a été votée la loi édifiant la date de commémoration, suite à une proposition socialiste créant une «journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la Guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc». Il est vrai qu’il fallait traduire en acte, les propos du président français, François Hollande, propos tenus le 20 décembre 2012, à Alger, où il a dit reconnaître "les souffrances que la colonisation a infligées au peuple algérien". Il s’exprimait devant les parlementaires algériens, lors de sa visite d’État. Parmi ces souffrances, il a cité "les massacres de Sétif, de Guelma et de Kherrata" qui "demeurent ancrés dans la mémoire et dans la conscience des Algériens". Il a également dénoncé un système colonial "profondément injuste et brutal".
19 mars 1962 – 19 mars 2016
Loin des polémiques qui agitent la classe politique d’un côté, et l’opinion publique en France de l’autre quant à la Guerre d’Algérie reconnue comme telle seulement en 1999, l’Algérie, elle, célèbre avant tout la Fête de la victoire. Le quotidien algérien généraliste El Watan explique la raison de cette opposition de certains à cette date: "Pour certaines associations d’anciens combattants, c’est la défaite qui est toujours insupportable, cinq décennies après". Et de poursuivre : "Pour ne pas envenimer les tensions qui continuent malgré tout jusqu’à ce jour, le président Jacques Chirac avait institué de toute pièce par décret en 2003 une date pour les manifestations du souvenir : le 5 décembre. Cette date correspond uniquement à l’inauguration cette année-là du Mémorial du quai Branly". Walid Mebarek poursuit : "La date convenait à ceux qui estimaient qu’après le cessez-le-feu le sang a continué de couler. Pour les opposants au 19 Mars comme marqueur du souvenir, la période qui a suivi l’immédiat après cessez-le-feu a été ensanglantée, dans la phase de transition du passage de flambeau aux nouvelles autorités algériennes, en raison particulièrement d’un relâchement de la protection des ressortissants. Outre les Français d’Algérie, ceux-ci parlent aussi des supplétifs harkis".
C’est la logique qui prévaut pour Christian Estrosi, le nouveau président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, cité par El Watan qui le présente comme un "fidèle" à une certaine "option très droitière et algérianiste". Il a d’ailleurs annoncé refuser de participer à l’hommage du 19 Mars. "Cette date constitue pour les Français d’Algérie comme pour les supplétifs algériens un déni de vérité. Je veux rappeler avec force que le nombre des victimes et des disparus s’est amplifié après le 19 mars 1962 – une date qui, en réalité, marque le début des enlèvements et du massacre de milliers de civils européens et de harkis", a-t-il dit. Et le journaliste Walid Mebarek de poursuivre : "Il est surprenant que 54 ans après leur fin, les hostilités restent vivaces, comme une nostalgie mortifère dont on peinerait à se dégager."
Priorité à l’histoire sur les réseaux sociaux
Sur les réseaux sociaux de nombreux Algériens ont choisi de jouer la carte de l’Histoire, avec de nombreuses références aux acteurs clés de cette période, qui a fait entre 1954 et 1962 près de 300 à 400 000 morts algériens (les noms ont souvent variés selon les périodes : indigènes, français musulmans, etc.., ndlr), 30 000 soldats "appelés " et 10 000 "pieds noirs."
La France et l’Algérie clament régulièrement leur volonté de renforcer leurs relations politiques, diplomatiques et économiques. Problème : depuis plus de cinquante ans, le débat est là autour des excuses publiques ou de la question de l’indémnisation. Il n’a pas avancé d’un iota. Pour Said Abadou, secrétaire général de l’organisation nationale des moudjahidine, "la célébration du 19 Mars en France n’est qu’un geste symbolique sans aucune valeur. Ce que nous exigeons, ce sont des excuses officielles et des indemnisations de 132 ans d’occupation", écrit-il dans une tribune publiée sur El Watan. Avant d’ajouter que si "la France pense que le fait que François Hollande ait avoué à demi-mot, lors d’un discours en 2012, que l’Algérie a souffert durant l’occupation française est suffisant", il y a lieu de savoir que pour qu’l y ait une réelle coopération, les excuses sont primordiales. "Ce qu’on n’arrive pas à comprendre, c’est pourquoi ne veut-elle pas le faire ?" interroge t-il finalement.
Olivier Le Cour Grandmaison, professeur de sciences politiques à l’université d’Évry-Val-d’Essonne partage ce point de vue : "Cinquante-quatre ans après la fin de cette guerre longtemps sans nom, sans autre nom du moins que celui «d’événements», comme l’ont dit pendant des décennies de bonnes âmes politiques soucieuses de défendre ce qu’elles prétendaient être «le prestige» et «l’honneur» de la France, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre perpétrés alors doivent être enfin reconnus par le chef de l’État". Il cite en exemple, plusieurs États qui ont fait la démarche de formuler publiquement des excuses et d’organiser des systèmes de compensations. "En ce domaine, et contrairement à une mythologie nationale-républicaine entretenue par de nombreux dirigeants politiques, de droite comme de gauche, la France se distingue par une rare persévérance dans le déni de son très lourd passé colonial.
S’inspirer du Canada, de la Nouvelle-Zélande….
Qu’on en juge. En 2002, le premier ministre de Nouvelle-Zélande, Helen Clark a reconnu les exactions commises contre le peuple de Samoa entre 1914 et 1962. En 2006, les autorités canadiennes ont fait de même à l’endroit des Amérindiens et accordent 2 millions de dollars aux enfants de ces populations arrachés à leur famille. En 2008, le premier ministre australien rappelle le sort terrible réservé aux peuples aborigènes." analyse l’auteur. En Algérie comme en France, les débats sont d’être clos, selon le professeur d’histoire à l’université Paris XIII, Benjamin Stora, qui s’est exprimé sur la radio Europe 1 ce 18 mars. "La guerre d’Algérie continue dans les têtes, les cœurs, les mémoires. Le problème décisif reste d’essayer d’y mettre fin", a-t-il dit poursuivant "ce qui rend réel le risque de la division, de la séparation, de la communautarisation des mémoires". D’où la nécessité pour lui de proposer une date de commémoration, au risque de "restez dans une guerre des mémoires."
Finalement , le 19 mars en Algérie…
Sur le territoire algérien, c’est la wilaya d’El-Tarf qui accueille ce 19 mars les festivités nationales de la commémoration du Jour de la victoire autour du thème «Fidélité et construction, par la fierté et la dignité». Des cérémonies sont prévues tout au long du mois de mars à travers les 48 wilayas du pays. Des conférences historiques, des expositions de photos et de documents, des projections de films et documentaires, ainsi que nombre d’activités culturelles et sportives sont programmées pour célébrer l’événement, avec l’organisation de cérémonies de levée des couleurs nationales et de dépôts de gerbes de fleurs à la mémoire des chouhada. Pour le volet historique des conférences historiques sur les accords d’Évian et la Proclamation du «cessez-le-feu» en Algérie, seront mise à l’honneur avec la participation de moudjahidine, des autorités locales civiles et militaires, des universitaires et de la société civile.