Benkirane II, le Costa Concordia national
Et si on demandait à Franco Porcellacchia, l’ingénieur qui a brillamment redressé le Costa Concordia, de venir renflouer le paquebot Benkirane II ?
Ce paquebot-là est aussi en mauvaise posture. Et puisque son désensablement a éprouvé toutes les recettes politiques connues, il n’est pas scandaleux de recourir à la méthode « parbuckling » pour activer sa délivrance
Le recours à la démonstration par l’absurde (apagogie) pour prouver l’absurdité – ou la fausseté- d’une proposition en fonction d’une autre, est un exercice (forme de raisonnement logique) bien connu en philosophie, chez Spinoza notamment (Cf. Gilles Deleuze, Spinoza, Philosophie pratique, Paris, Minuit, 1981), et en mathématiques (Cf.Lombardi H, Mathématiques Constructives, Besançon, 1994). L’un des postulats de base de ce raisonnement est que l’absurdité apparente d’un mot, d’une question, d’une situation peut être un trompe-l’œil ; un leurre.
Visiblement, c’est le cas de la situation dans laquelle se trouve Benkirane II. Sous une allure absurde, se dissimulent, en fait, des intérêts qui n’ont rien d’absurde. Par conséquent, et étant donné que l’effort de réflexion emplyé pour identifier les raisons (politiques, éthiques, techniques) qui maintiennent Benkirane II enfoncé dans les profondeurs de l’hésitation et de l’indécision, a échoué, il n’est pas absurde de raisonner à l’envers, par l’absurde, en espérant arriver à une meilleure compréhension de l’énigme et du problème posés.
Première hypothèse : Si le problème de Benkirane II, est d’ordre mystique et psychologique, prenons-en donc acte et réunissons sans tarder les meilleurs fkihs du pays, mettons-les en conclave avec de bons prestidigitateurs, gardons-les enfermés jusqu’à ce que sorte de leurs travaux une recette miraculeuse ou un talisman imparable contre les démons, les « crocodiles » et autres créatures maléfiques qui empêchent Benkirane II de sortir de l’envasement.
Deuxième hypothèse : Si le blocage relève de considérations techniques, c’est encore mieux. Il n’y a pas plus efficace, pour désensabler le paquebot Benkirane II, que la méthode de «pivotage», dite "parbuckling », et plus compétent que l’équipe d’ingénieurs qui l’a mise en œuvre pour renflouer le Costa Concordia.
Le coût de l’opération du redressement du Costa Concordia est certes élevé : 600 millions d’euros (800 millions de dollars). Le sauvetage de Benkirane II, a certainement un prix. Peu important, et si les caisses de l’Etat ne permettent pas de régler la facture, organisons alors un téléthon à l’échelle du pays et déclarons le désensablement de Benkirane II, priorité nationale.
II- Les risques probables du désensablement
Une fois redressé, le Costa Concordia a montré l’étendue des déchirures et des dégâts qu’il a subis. Les cris de joie et de victoire des techniciens, les pleurs des rescapés et la douleur des familles des disparus, ont rendu la scène un peu surréaliste, à la limite de l’absurde.
Que va-t-on donc découvrir lorsque Benkirane II sera désensablé et lorsque seront dévoilés au pays les résultats de l’opération de sauvetage, notamment l’architecture gouvernementale, le programme qui servira de base de travail à la nouvelle coalition, la part de la parité dans sa composition, la place de la réforme et le sort du Ministère de l’économie et des Finances ? Les prémices d’une réussite ? Ou les signes avant-coureurs de l’échec ?
Le Costa Concordia, ce navire mastodonte avec ses 114 000 tonnes et ses proportions gigantesques, a touché le fond en décembre 2012 à cause de l’incompétence et de l’inconscience de son capitaine. Vingt mois après, il a pu redresser sa carcasse blessée grâce à une équipe de techniciens, compétente, soudée, avec un projet bien ficelé, doté de moyens techniques et de ressources à la hauteur de l’événement.
Comble de la grandeur, cette opération, qui restera gravée dans les annales de l’ingénierie maritime comme une prouesse unique en son genre, se voulait aussi un hommage rendu aux 30 morts et disparus dont le destin fut définitivement scellé un 13 janvier 2012, face à la petite île toscane du Gigli.
Ironie du sort, le Costa Concordia, arraché à la mer à coups de millions de dollars, sera remorqué vers un port pour être démantelé et découpé.
Le destin du paquebot, Benkirane II, est certainement bien meilleur que celui du Concordia. C’est ainsi ; c’est une histoire de culture politique. Ceux qui ont conduit le paquebot Benkirane I vers des zones marécageuses et Benkirane II à l’enlisement, ne risquent rien, contrairement au capitaine du Costa Concordia.
Une fois Benkirane II désensablé, les seconds, les matelots, les mousses et les mécaniciens reprendront leur train-train habituel et les concerts de louanges partisans résonneront pour saluer la préférence du capitaine.
N’y allons pas par quatre chemins, cette mascarade ne peut durer. Il est grand temps d’y mettre fin et de rompre avec l’ère du soupçon et de l’incertitude, de l’improvisation, des duels et combats de coqs. Il y va de l’intérêt du pays, de la crédibilité de sa classe politique, de la quiétude et de la prospérité de son peuple. Faire aujourd’hui l’indifférent ou le candide, serait la pire des postures, et la plus coûteuse aussi ; beaucoup plus qu’une élection législative anticipée.