Abassi Madani, chef de file charismatique de l’islam politique en Algérie

Trapu, le regard plein de malice, Abassi Madani a souvent joué de la banalité de son physique pour devenir un chef charismatique de l’islam politique en Algérie mais son nom restera attaché à la guerre civile qui a ensanglanté le pays.

Madani est décédé mercredi à 88 ans dans un hôpital de Doha. Il avait quitté l’Algérie en 2003 après avoir été libéré de prison où il avait purgé une peine de 12 ans pour atteinte à la sûreté de l’Etat. Il avait été aussi interdit de toute activité politique.

Né en 1931 à Sidi Okba, une palmeraie de l’Est algérien, M. Madani suit les enseignements d’une école coranique. En novembre 1954, il participe au déclenchement de la guerre d’indépendance contre le pouvoir colonial français, mais rapidement arrêté après une tentative d’attentat contre la radio d’Alger, il passera les sept ans du conflit en prison.

Licencié en philosophie, il décroche en Grande-Bretagne, grâce à une bourse, un doctorat en Pédagogie et Sciences de l’éducation. Professeur de psycho-pédagogie à l’université d’Alger, Abassi Madani milite tôt – dans une Algérie régie par le parti unique – pour un islam politique, dont il devient un chef de file et qui lui vaut un séjour d’un an en prison en 1982.

– Prédicateur infatigable –

Après avoir transformé les mosquées en tribunes politiques, Madani et quelques autres font sortir l’islam politique de la clandestinité à la faveur des réformes – dont le multipartisme – lancées après les émeutes d’octobre 1988, en créant en 1989 le Front islamique du Salut (FIS): objectif du parti l’instauration d’un Etat théocratique en Algérie, le premier Etat islamique du Maghreb.

Madani en prend la tête, assisté d’un jeune bras droit Ali Belhadj de 25 ans son cadet. Prédicateur infatigable, courant d’une mosquée à l’autre, Madani est devenu le chef incontesté, adulé par des milliers de fidèles, de l’islam politique en Algérie.

Décrit comme un politicien rusé, l’homme, barbe rousse taillée en collier, est un orateur médiocre – mais persuasif – au débit lent et à l’accent nasillard, qui préfère laisser à Ali Belhadj le soin d’haranguer les foules par ses prêches incendiaires.

Il joue du contraste avec le caractère exalté de ce dernier pour apparaître comme un modéré.

Mais certaines formules qui l’ont rendu célèbre, telle que "L’islam n’est pas un self-service, c’est un tout", font dire à ses détracteurs que ses engagements de respecter la démocratie et le pluralisme si le FIS conquérait le pouvoir, sont de "pure tactique".

Après la large victoire, en juin 1990, du FIS aux élections locales – premier scrutin pluraliste de l’histoire de l’Algérie – Madani se comporte en successeur virtuel du président Chadli Bendjedid, en fin de mandat. Et présente son parti comme le "dépositaire de la légitimité populaire" contre l’ex-parti unique, le Front de libération nationale (FLN), usé par 30 ans de pouvoir sans partage.

Son appel à une "grève générale illimitée" en mai-juin 1991 pour forcer le président Bendjedid a organiser des législatives anticipées tourne à l’épreuve de force et dégénère en affrontements entre forces de l’ordre et manifestants.

– Parti dissous –

L’armée décrète l’état de siège le 5 juin 1991 et le fait arrêter avec Ali Belhadj.

C’est depuis sa cellule, que M. Madani assiste à la fin de cette même année à la victoire du FIS au 1er tour des législatives qui annonce un raz-de-marée au second, à l’annulation du scrutin et la dissolution de son parti début 1992.

Cette dissolution du FIS interrompt le processus démocratique et plonge le pays dans une décennie de guerre civile, groupes islamistes armés contre forces de sécurité, mais dont les civils figureront en nombre parmi les 200.000 morts officiels du conflit, victimes notamment des attentats ou massacres attribués aux maquis islamistes.

En 1999, Madani avait dit appuyer la décision de l’Armée islamique du Salut (AIS), le bras armé du FIS, annonçant déposer les armes et il avait appelé lui-même à la fin de la lutte armée à sa libération en 2003.

L’ancien prédicateur s’était fait relativement discret dans son exil qatari. Dernière malice d’Abassi Madani, en 2004, l’ancien chef islamiste avait annoncé entamer une grève de la faim à Doha pour soutenir la libération des deux otages en Irak, dont les deux journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot.

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