Cent ans avant l’Etat islamique, les musulmans du monde entier avaient déjà été appelés à faire le djihad. Le 14 novembre 1914, le sultan ottoman Mehmed V tient un discours destiné à résonner dans l’ensemble du monde musulman.
La guerre éclate en Europe en août 1914 et elle se répand rapidement au Proche-Orient. Le 2 août, les Allemands concluent une alliance avec les Ottomans, et deux mois plus tard les Turcs entrent en guerre aux côtés des Empires centraux (l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie). Le 14 novembre, le sultan ottoman Mehmed V appelle tous les musulmans dans le monde à la Guerre sainte contre les nations ennemies de Constantinople, les Alliés: le Royaume-Uni, la Russie et la France.
Un plan aux origines allemandes
"Ceux qui prendront part à la Guerre sainte pour le bonheur et le salut des Croyants et en reviendront vivants jouiront du bonheur, quant à ceux qui y trouveront la mort, ils auront droit au titre de martyr", exhorte ainsi le sultan à Constantinople.
Mais comme l’explique à Slate l’historien français Jean-Yves Le Naour, auteur de "Djihad 1914-1918" (éditions Perrin), cet appel au soulèvement provient en réalité de bouches allemandes, et notamment celle d’un proche de l’empereur, le baron Max Von Oppenheim.
Le rapprochement entre l’Allemagne de Guillaume II et le monde musulman date de la fin du 19e siècle. En 1898, l’empereur allemand se rend dans la capitale ottomane et déclare être le protecteur de tous les musulmans. Comme le rappelle Slate, le petit-fils de Guillaume Ier et le fils de l’éphémère Frédéric III ambitionne de reproduire "l’alliance impie" scellée en 1536 entre le roi chrétien François Ier de France et le sultan Soliman le Magnifique (lire la suite sous la photo).
Attentat au couteau dans un train en… Australie
L’objectif des Empires centraux est le suivant: utiliser le panislamisme pour destabiliser les Alliés et les empires coloniaux que ces États contrôlent en poussant les millions de musulmans qui y vivent à se révolter.
A cause de la censure opérée par la France et le Royaume-Uni, cet appel à l’insurrection a néanmoins du mal à se propager. Mais comme le rappelle Jean-Yves Le Naour, il est entendu notamment… en Australie quand deux hommes pénètrent dans un train avec des couteaux et attaquent des passagers.
Un appel au djihad qui fait pschitt
Le plan des empires allemand et austro-hongrois finit tout de même par échouer, pour plusieurs raisons, souligne l’historien. Tout d’abord parce que les Ottomans sont refroidis par une série de plusieurs défaites subies contre les Russes. Ensuite car cet appel au djihad est plutôt mal saisi, les musulmans ne comprenant en effet pas pourquoi les chrétiens français, britanniques et russes sont leurs ennemis alors que ceux provenant d’Allemagne sont leurs alliés. Enfin, explique Le Naour, parce que Guillaume II pense à tort que le sultan de Constantinople est "une sorte de pape de l’Islam." Or, dans la religion musulmane, il n’existe aucun intermédiaire entre Dieu et le fidèle. La parole du sultan n’est donc pas aussi porteuse que l’empereur allemand a bien voulu le croire.
L’appel à la Guerre sainte a donc fait pschitt et l’issue de la Grande Guerre s’est finalement jouée dans les tranchées d’Europe. Mais il a laissé des traces: "1914 est le début de la djihadisation de l’Islam", conclut l’historien.
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