Tiraillements franco-français sur la crise avec Alger
Alors que le régime d’Alger a tenté de faire de la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par la France le point culminant de sa crise avec Paris, le sujet est désormais relégué au second plan par les OQTF, l’accord de 1968, les passeports diplomatiques et Boualem Sansal.
Le Premier ministre français a adressé un des messages les plus sévères au régime algérien. Rien de moins qu’un ultimatum de six semaines pour reprendre la liste des clandestins algériens sous obligation de quitter le territoire français (OQTF), sous peine de supprimer tous les accords entre la France et l’Algérie, qui offrent d’immenses privilèges aux Algériens dans le domaine de la migration. Cette menace a été souvent brandie, mais jamais évoquée avec autant de détermination que par François Bayrou.
La sortie du Premier ministre français à l’issue du comité interministériel sur l’immigration a été une surprise pour tout le monde. Bien avant sa tenue, il était de bon ton de souligner que le gouvernement français était divisé sur la question algérienne. Entre un Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, qui se mettait en scène dans ce bras de fer avec le régime algérien, un Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères, qui tentait de faire le dos rond, estimant que la menace de sanctions n’était pas de nature à calmer les esprits, un François Bayrou, Premier ministre, qui donnait l’impression de ne pas être concerné par cette crise, et surtout un Emmanuel Macron, président de la République, qui observait un silence de moine sur cette tension.
Brisant un long silence sur cette crise, Emmanuel Macron a redit la préoccupation française quant au sort de Boualem Sansal, tout en invitant l’Algérie à «réengager» un travail avec la France sur les accords d’immigration. Avec cette touche qui révèle l’ampleur de la crise actuelle: «Nous n’avancerons pas s’il n’y a pas un travail, on ne peut pas se parler par voie de presse, c’est ridicule, ça ne marche jamais comme cela». Il a confié au quotidien Le Figaro: «Chacun est dans ses compétences. L’accord de 1968, c’est le président de la République». Avant d’ajouter: «Et ce qu’on a acté avec le président Tebboune en 2022, c’est sa modernisation. Je suis totalement favorable, non pas à le dénoncer, mais à le renégocier.»
En adoptant une posture apparemment différente de la fermeté assumée de son ministre de l’Intérieur et de son Premier ministre, Emmanuel Macron donnait l’impression de désavouer son gouvernement. Surtout lorsqu’il s’agit d’utiliser la précieuse carte des accords de 68 organisant l’immigration algérienne sur le sol français. Alors que Retailleau et Bayrou menacent simplement de les annuler, Macron propose de les renégocier. Ces différences d’appréciation entre autorités françaises sur la question algérienne font le bonheur des médias d’Alger, qui y voient une extrême droite qui accélère sur la critique et la menace et un président de la République qui tempère.
Cette situation laissait penser que le gouvernement français était dans l’incapacité de prendre une décision ferme à l’égard d’Alger. Cela explique d’ailleurs la stratégie du régime algérien, consistant à cibler le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui semble avoir porté seul le fer de cette escalade. En voulant minimiser l’importance de la crise, le régime algérien avait fait le choix de concentrer ses critiques sur l’extrême droite française, nostalgique du fait colonial, seule promotrice de ce rejet et de cette allergie à l’Algérie. Pour Alger, délimiter le combat à l’extrême droite redonnait une forme de légitimité à ses ruptures avec la France.
«Pour Emmanuel Macron, il ne peut y avoir de normalisation avec l’Algérie sans la libération inconditionnelle de Boualem Sansal, libération qui devrait paver le terrain à une renégociation des accords de 1968 et au retour de discussions politiques.»
Mais ce que le régime d’Alger semble avoir perdu de vue, c’est le chiffon rouge qui aurait provoqué ses réactions hystériques: la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par la France. Ce sujet est relégué au second plan par les OQTF, l’accord de 1968 et Boualem Sansal. Subitement, l’auteur de cette reconnaissance est devenu aux yeux du régime d’Alger le chevalier preux qui combat un gouvernement d’extrême droite. Pourtant, Emmanuel Macron est resté droit dans ses bottes dans cette crise avec Alger et n’a jamais varié. Pour lui, il ne peut y avoir de normalisation avec l’Algérie sans libération inconditionnelle de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal. Cette libération inconditionnelle devrait paver le terrain à une renégociation des accords de 1968 et au retour de discussions politiques.
Aujourd’hui est intervenu un grand moment de clarification. La tension avec Alger n’est pas une lubie exclusive de l’extrême droite, mais plutôt l’affaire de tout le gouvernement et même de la société française. Récemment, cette tension s’est cristallisée autour de trois faits majeurs. Le premier est le refus systématique de réceptionner les clandestins algériens expulsés par la France. L’un d’eux, dont le rapatriement a été refusé à quatorze reprises par Alger, a fini par commettre l’attentat terroriste de Mulhouse. Le second est l’arrestation arbitraire de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, homme âgé et malade, sur la seule accusation d’avoir rappelé des vérités historiques, à savoir que dans le passé, des parties de l’Ouest algérien appartenaient à l’Empire chérifien marocain. Le troisième fait concerne l’affaire dite «des influenceurs algériens» accusés d’inciter à la violence et à la haine sur le territoire français. Les services français ont de bonnes raisons de penser que «ces influenceurs» étaient manipulés par Alger et avaient pour mission de semer le désordre et le chaos en France.
Le sérieux de la menace française a été démontré pour la décision de fermer le territoire français à certains dignitaires du régime algérien, porteurs de passeports diplomatiques les dispensant de visa pour entrer en France. Il s’agit là d’une décision à la fois inédite et d’une forte symbolique. François Bayrou avait confirmé l’existence d’une liste de personnes concernées, mais sans donner plus d’informations. Il est aisé de savoir qu’elle comprend principalement des personnages du sérail algérien, accusés d’alimenter la stratégie de haine conte la France.
Aujourd’hui, la grande interrogation qui taraude les esprits est la suivante: comment le régime algérien réagira-t-il à la sommation française? Les premières réactions d’Alger vont dans le sens d’une surenchère. Le régime a même promis d’incalculables conséquences. Sur ce point précis, les avis et les analyses divergent. Il y a ceux qui pensent que ce régime suicidaire irait jusqu’au bout de l’escalade avec la France. Son maintien au pouvoir dépend du ratio de défi envers l’ancienne puissance coloniale et de la fabrique de cet ennemi extérieur indispensable à sa logorrhée dite «nationaliste».
Mais il y a aussi ceux qui pensent que ce régime ne réagit que dans le cadre d’un rapport de force. Et celui que semble engager Paris à son égard, avec la multiplicité des sanctions réelles ou symboliques, est susceptible de le faire plier pour tenter de sauver ce qu’il y a à sauver. D’où les attentes de voir le régime algérien accepter de recevoir la liste des Algériens sous OQTF, et la possibilité de voir l’affaire Boualem Sansal trouver rapidement une issue positive… à condition bien entendu qu’il ne décède pas dans les geôles algériennes.