Otages libérés au Mali: le contexte « soulève beaucoup de questions »
Le récit de la libération d’une Canadienne et de son compagnon italien, enlevés il y a quinze mois au Burkina Faso et retrouvés dans le nord-est du Mali vendredi soir, inspire « des doutes » à un expert des mouvements jihadistes sahéliens.
Adam Sandor, chercheur à l’organisme de recherche canadien Centre FrancoPaix, estime « peu probable » la thèse d’une évasion, suggérée par les responsables onusiens et maliens.
Pour lui, les otages étaient aux mains du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda), dirigé par l’ancien chef rebelle touareg Iyad Ag Ghaly, auquel appartient le groupe du prédicateur radical peul Amadou Koufa, et l’hypothèse est « forte » qu’une rançon ait été versée.
QUESTION: Que savez-vous de leur enlèvement ?
REPONSE: « Selon mes informations, ils ont été enlevés par deux jeunes affiliés au groupe jihadiste Ansaroul Islam, qui opérait dans le nord du Burkina Faso à l’époque. L’endroit précis de leur enlèvement reste flou: au moins quatre localités ont été mentionnées.
Les deux jeunes qui les ont pris en otage, selon les témoignages recueillis, ne savaient pas ce qu’ils pouvaient en faire. Ils connaissaient l’importance financière d’otages, mais n’avaient pas de réseau.
Ils étaient originaires de Mondoro (centre du Mali), et les y ont emmenés vers la fin 2018. Là-bas, ils ont rencontré des gens connectés au groupe jihadiste d’Amadou Koufa. On peut supposer que c’est à Mondoro qu’ils ont été récupérés par les hommes de Koufa.
Les deux otages ont ensuite été vus entre janvier et février 2019 dans la région dite de la +zone inondée+ (du delta intérieur du fleuve Niger, dans le centre du Mali, NDLR) par des locaux, selon des témoignages que j’ai recueillis. Les otages étaient transportés en moto, mais il n’y a pas plus de détail. Leur mobilité était très importante.
C’est à cette époque qu’un chef de katiba très important, Yahya Abou El Hamame, a été tué dans une frappe aérienne de Barkhane (le numéro 2 algérien du GSIM, tué par les militaires de l’opération antijihadiste française le 21 février 2019, NDLR). On peut supposer que c’est après cela, vers mars, qu’ils ont été emmenés vers le nord du Mali.
A partir de ce moment, il est difficile de retracer leur parcours. Certains ont dit qu’ils étaient dans le grand désert au nord de Taoudénit, d’autres parlaient de l’Adrar des Ifoghas » (respectivement près des frontières mauritaniennes et algériennes, et dans la région de Kidal, à la frontière algérienne).
Q: Ils réapparaissent à Kidal. Est-ce surprenant ?
R: « Non, car les liens sont forts entre la hiérarchie du groupe de Koufa et celle autour d’Iyad Ag Ghaly. Ce n’est pas tout le monde qui peut s’occuper d’otages occidentaux, et Iyad Ag Ghaly a une expérience dans ce domaine.
Ce qui est surprenant, c’est qu’il ait été dit qu’ils se sont échappés. Je n’ai pas connaissance de cas de fuite (d’otages occidentaux) au Sahel, où ceux qui ont essayé de fuir n’ont pas été retrouvés et/ou ont été tués. Je serais très heureux qu’ils aient pu fuir, mais c’est peu probable.
J’ai des doutes également sur le fait qu’un véhicule civil puisse récupérer deux Occidentaux sur la route – qui n’est est pas une dans cette zone – et les emmener à une base de l’ONU.
Si vous êtes de la région de Kidal et circulez dans un 4×4, que vous trouvez deux Occidentaux, il y a de fortes probabilités que vous les rameniez à un groupe armé, tant les relations familiales entre les groupes armés, jihadistes ou non, et la population sont fortes.
De plus, dans cette région désertique, même s’ils se sont échappés, comment expliquer qu’ils aient pu marcher avec la température en plein jour sans être rattrapés ? ».
Q: Une rançon peut-elle avoir été versée ?
R: « C’est une hypothèse assez forte. Mais on reste dans le domaine des hypothèses. Cela pourrait être une preuve de bonne volonté (de la part du GSIM envers le gouvernement malien, NDLR) pour entamer une négociation plus approfondie avec l’autre camp.
On en saura sans doute plus dans les prochaines semaines. Mais le versement probable d’une rançon n’est pas la question intéressante. Il faut s’intéresser aux dynamiques de négociation. Pourquoi ces deux otages-là ont-ils été libérés et non pas les autres, par exemple ? Et si on se place dans le contexte de négociations plus globales, quelle est la contrepartie de cette libération ?
Nous nageons dans le noir. Deux otages apparaissent de nulle part et on dit qu’ils ont fui. Cela soulève beaucoup de questions ! ».