C’est l’histoire d’un ministre qui n’avait rien demandé et surtout pas à être ministre. Et lorsqu’on lui a dit, un jour de remaniement, qu’il le sera, il a dit « oui » parce qu’on ne dit jamais non à son chef. Le genre de « oui » forcément hiérarchique. Donc et en bon gars qui obéit aux ordres du patron, il obtient, sans en avoir vraiment rêvé, le maroquin ministériel de la Santé.
Il y a bien eu quelques interrogations. Parfois des inquiétudes. Les plus intrépides s’aventuraient même à se demander si ce jeune homme tout droit sorti des entreprises du chef allait pouvoir faire le job. On a fini par s’habituer, faire bon cœur contre mauvaise fortune. Après tout, il n’était pas pire que quelques-uns de ses pairs. Au Parlement, il lisait bien sagement ses réponses rédigées dans une langue qui sentait fort le bois. Il faisait comme ses collègues et surtout comme le chef, en promettant le meilleur à ses concitoyens, qui eux, n’étaient pas obligés d’y croire.
Le réveil a été brutal. Pour notre jeune ministre, bon élève de son chef. Pour son chef qui le lâche sans le lâcher. Et surtout pour nous, citoyens et citoyennes. Voilà un ministre de la Santé -ministre depuis octobre 2024- qui découvre la tragique réalité des hôpitaux du pays. Des hôpitaux où des femmes meurent en accouchant. Des hôpitaux où le scanner ne fonctionne pas. Des hôpitaux désertés par les médecins -TPA (Temps partiel aménagé) quand tu les tiens. Des hôpitaux publics, privés de moyens humains, techniques et financiers non pas en rase campagne mais dans les grandes villes du Maroc.
Le ministre a eu droit à son bizutage en se rendant sur la scène du crime d’abord à Agadir, le fief du chef, puis ailleurs, dans ces autres établissements hospitaliers où les drames se jouent intramuros. La démarche est courageuse. On pourrait penser qu’il s’agit là d’un acte de contrition. L’aveu de culpabilité d’un ministre et du gouvernement auquel il appartient. Il n’en a rien été.
Dans son road show immortalisé par photographes et cameramen, notre ministre se sent l’âme militante. Il traverse le miroir et passe de l’autre côté. Du côté des plaignants, des pas soignés et des professionnels de santé marginalisés et oubliés des politiques publiques. Alors il hausse le ton, se fait protestataire, les revendications plein la bouche. « Mais vous avez bien une tutelle. Il fallait venir protester au sein de votre ministère et en appeler à plus de moyens, » lance-t-il à Meknès en s’adressant à celui qu’on pense être le directeur de l’hôpital public, privé de moyens.
Oyez oyez bonnes gens : le ministre -élève -modèle- formé -à l’école- du- chef en appelle à un sit in contre la défaillance de ses services qui ne contrôlent rien, ne vérifient rien, n’auditent rien. La pirouette toute ministérielle aurait pu être applaudie par un communicant, spécialiste de la com’ de crise. Sauf que les citoyens que nous sommes veulent croire aux docteurs que ce pays forme et à qui on donnerait les moyens d’exercer plutôt qu’aux spin doctors, adeptes de la secte Powerpoint-qui pondent une politique publique en 4 slides et 3 tableaux pompeusement intitulés benchmark.
La communication de crise pensée par des communicants justifiant leurs salaires mais pas des drames humains a très vite montré ses limites. Toute forme de protestation devant les hôpitaux publics est interdite depuis le 21 septembre. Où faut-il protester ? serait-on tenté de demander au ministre de la Santé. On ne le fera pas. Il faut toujours épargner les ambulances.
Zahrat Al Haq
