Le Premier ministre indien Narendra Modi est arrivé samedi dans la ville chinoise de Tianjin (nord) pour participer au sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), marquant sa première visite dans le pays depuis sept ans.
Ce premier déplacement de M. Modi en Chine depuis 2018 laisse entrevoir une possible évolution favorable des relations bilatérales, mises à mal par les affrontements meurtriers de la vallée de Galwan en 2020, qui avaient coûté la vie à des soldats des deux côtés et gelé le dialogue politique.
Cette visite s’inscrit dans ce que plusieurs analystes considèrent comme une amélioration sensible des relations sino-indiennes. Les deux géants asiatiques ont, en effet, accompli plusieurs gestes d’apaisement ces derniers mois, rétablissant la paix frontalière, levant les restrictions commerciales et d’investissement et assouplissant les régimes de visas.
Cette amélioration des relations intervient également dans un contexte où les deux nations sont confrontées aux défis engendrés par la guerre commerciale américaine.
La Chine fait face à des droits de douane américains de 30%, qui peuvent aller jusqu’à 145% en novembre si les négociations commerciales entre Washington et Beijing venaient à échouer. L’Inde, pour sa part, est confrontée à une taxation de 50% sur l’ensemble de ses exportations.
Le traitement appliqué à l’Inde, pourtant partenaire stratégique des États-Unis, se révèle particulièrement sévère. Après l’application de droits initiaux de 25%, dépassant ceux imposés à d’autres nations asiatiques proches de Washington telles que le Pakistan et l’Indonésie, New Delhi s’est vue appliquer 25% de taxes supplémentaires cette semaine, en réponse à ses acquisitions de pétrole russe.
L’Inde a réagi en assouplissant sa politique vis-à-vis des investissements chinois, selon plusieurs sources. Le slogan des années 1950 « Hindi-Chini bhai bhai » (l’Inde et la Chine sont sœurs) refait surface, rebaptisé « Tango du dragon et de l’éléphant » par des médias chinois.
« Nous sommes les deux pays les plus peuplés du monde et faisons partie du Sud global. Il est vital d’être amis et de bons voisins, et que le « dragon » et l' »éléphant » se rassemblent », a déclaré le président chinois Xi Jinping lors d’une rencontre dimanche avec M. Modi, en marge du sommet de l’OCS.
M. Modi s’est dit, lors de cette rencontre, « engagé à faire progresser nos relations sur la base de la confiance mutuelle, du respect et de la sensibilité ».
Vendredi dernier, le quotidien officiel chinois Global Times a indiqué dans son éditorial que le réchauffement des liens sino-indiens revêtait une « dimension stratégique et économique », l’associant aux « transformations profondes du paysage géopolitique mondial ».
La veille, le ministère chinois des Affaires étrangères a affirmé que l’amélioration des relations avec l’Inde servait les intérêts des deux pays, mettant en avant les avancées accomplies depuis la rencontre ayant eu lieu entre MM. Xi et Modi en octobre 2024 à Kazan, en Russie.
La Chine est « disposée à travailler avec l’Inde pour envisager et gérer les relations sino-indiennes dans une perspective stratégique et à long terme », selon la même source.
Du côté de New Delhi, les tensions avec Washington viennent renforcer les arguments des partisans d’un retour à une diplomatie de non-alignement, une approche mesurée qui traduit une volonté indienne de préserver son autonomie stratégique dans un contexte multipolaire en évolution.
L’Inde considère son partenariat avec les États-Unis comme un élément fondamental de sa stratégie commerciale et sécuritaire. Les relations bilatérales ont connu une amélioration notable depuis 2008, marquée par la signature d’un accord nucléaire civil sous l’administration Bush qui a balisé la voie, depuis 2017, à une coopération élargie incluant la revitalisation du groupement « Quad », une alliance stratégique incluant également le Japon et l’Australie.
Cependant, en dépit de l’accord de 2018 sur les communications, la compatibilité et la sécurité, censé dynamiser le commerce de défense américain, la Russie demeure le premier fournisseur d’armement de l’Inde (36%).
Des analystes voient en cet état de fait l’incarnation de la doctrine indienne de « multi-alignement », qui a succédé à l’ancienne posture de « non-alignement » et tend à diversifier les options stratégiques du pays plutôt qu’à l’inscrire dans une sphère d’influence déterminée.
D’autres estiment que cette approche explique la réticence de l’Inde à rompre ses liens avec la Russie après le déclenchement de la guerre en Ukraine en 2022, ainsi que les divergences existant entre les conceptions indienne et américaine concernant la région Indo-Pacifique.
Narendra Modi a formulé clairement cette position lors d’une allocution prononcée en 2018 au Dialogue Shangri-La à Singapour, principale conférence consacrée aux questions de défense et de sécurité en Asie, où il avait précisé que son pays ne percevait pas la région Indo-Pacifique comme un « club fermé dirigé contre un pays particulier ». Des observateurs avaient alors estimé que cette déclaration visait à distancier l’Inde d’une approche confrontationnelle avec la Chine.
Les consultations diplomatiques en cours avec Beijing ont pour objectif principal de désamorcer le contentieux frontalier qui avait risqué de dégénérer en 2020 et de préserver les relations commerciales bilatérales, la Chine étant le deuxième partenaire commercial de l’Inde.
L’asymétrie grandissante de ces relations commerciales peut néanmoins constituer un défi pour ce rapprochement. Si les échanges bilatéraux atteignent 128 milliards de dollars annuellement, ils confèrent un net avantage à Beijing, le déficit commercial indien avoisinant les 100 milliards de dollars.
Depuis 2012, le PIB chinois a progressé en moyenne de 700 milliards de dollars de plus que celui de l’Inde chaque année. Par ailleurs, l’économie chinoise représente aujourd’hui cinq fois celle de l’Inde.
Ces éléments incitent certains analystes à considérer avec prudence l’évolution du rapprochement sino-indien, estimant que, malgré les perspectives économiques évidentes qu’offre une coopération approfondie, une dépendance excessive de l’Inde vis-à-vis de la Chine pourrait altérer in fine cette dynamique de convergence.
Par ailleurs, l’influence chinoise croissante en Asie du Sud alimente les préoccupations de New Delhi. Les véhicules électriques constituent désormais 76% du parc automobile népalais grâce aux importations chinoises, tandis que Beijing s’impose comme le premier créancier bilatéral du Sri Lanka et le principal fournisseur d’armement du Bangladesh.
