Sarkozy : « Ce n’est pas le Mohammed ben Salmane que je connais »
ANALYSE. Dans un entretien au « Point », l’ex-président estime que l’assassinat de Jamal Khashoggi ne correspond pas à l’image qu’il s’est faite du prince héritier saoudien.
Membre du Conseil d’administration du groupe hôtelier Accord, Nicolas Sarkozy a notamment été reçu par l’homme fort de Riyad en octobre 2017, où il s’était entretenu avec lui sur les opportunités d’investissement dans « Neom », un vaste projet de zone de développement économique à plus de 500 milliards de dollars, annoncé au bord de la mer Rouge.
Éloges de MBS
À l’occasion de cette visite, l’ancien président français avait participé à la première édition du Future Investment Initative, le grand forum international sur l’investissement en Arabie saoudite, durant lequel il n’avait pas tari d’éloges au sujet de son hôte, n’hésitant pas à qualifier de « tsunami » les réformes économiques et sociales annoncées par celui-ci. « C’est un moment historique », s’était-il exclamé devant le prince héritier. « La population (saoudienne) est jeune et le prince est jeune (…) Le roi et le prince héritier œuvrent à des changements économiques et sociaux en même temps. »
Cette année, lors de la seconde édition du forum à Riyad, le président français était absent. Nombre de dirigeants et chefs d’entreprise étrangers ont préféré décliner l’invitation. C’est que le scandale provoqué par l’affaire Khashoggi est passé par là. Et les réformes promises par le tout-puissant prince saoudien marquent le pas. S’il a grandement œuvré pour que les Saoudiennes soient enfin autorisées à conduire (l’Arabie saoudite était le dernier pays au monde à refuser ce droit aux femmes, NDLR) et ouvert les stades et cinémas aux jeunes des deux sexes, ses réformes économiques marquent le pas. L’introduction en Bourse de 5 % d’Aramco, la compagnie saoudienne nationale de pétrole, pour servir d’immense fonds d’investissement, a été repoussée sine die. Et des dizaines d’hommes d’affaires saoudiens, de princes, de prédicateurs religieux et de militants des droits de l’homme ont été emprisonnés. Pour la militante saoudienne exilée Rana Ahmad, la situation des droits de l’homme ne s’est pas améliorée en Arabie saoudite.
Islam modéré ?
Pourtant, dans son grand entretien au Point, Nicolas Sarkozy persiste à souligner les réformes adoptées par MBS. « Je fais l’effort depuis des années d’aller là-bas (en Arabie saoudite, NDLR) », rappelle-t-il. « Qui aurait dit, il y a trois ans, que les femmes pourraient conduire, aller au concert, se rendre au stade ? » S’il estime que « la France a eu raison de dénoncer les événements qui ont conduit à la mort atroce de Jamal Khashoggi », l’ancien pensionnaire de l’Élysée affirme qu’il faut encourager les « tentatives (du prince, NDLR) pour réconcilier islam et modernité », « essentielles à l’équilibre du monde ».
Il y a un an, MBS s’était révélé au monde entier en promettant de « détruire l’extrémisme » et de revenir à une Arabie saoudite « modérée, tolérante et ouverte ». « Il a raison. Le problème du monde, c’est l’extrémisme », avait alors réagi Nicolas Sarkozy. Problème, l’idée que l’Arabie saoudite ait un jour promu un « islam modéré » est une chimère, le pays étant le berceau du wahhabisme, version ultrarigoriste de l’islam sunnite. Depuis la proclamation en Iran de la République islamique (chiite, NDLR) en 1979, concurrençant la monarchie al-Saoud (sunnite, NDLR), ainsi que la prise d’otages, la même année, de La Mecque par des extrémistes saoudiens, l’Arabie saoudite s’emploie à répandre cette idéologie intolérante dans le monde entier. Grâce à ses pétrodollars et avec la relative complaisance de l’Occident. Or, cette vision ultraconservatrice de l’islam se retrouve aujourd’hui dans le salafisme qui progresse dans les sociétés occidentales, et dont s’inspirent les djihadistes pour commettre des attentats.
Paradoxe
Dans son grand entretien au Point , Nicolas Sarkozy invite à ne pas tomber dans la « caricature », soulignant que « l’Arabie saoudite est un pays autrement plus complexe ». Paradoxalement, l’ancien président estime que « nous sommes encore trop naïfs et trop faibles » vis-à-vis de l’extrémisme islamiste. « On ne discute pas avec l’extrémisme islamiste, on le combat », insiste-t-il en citant des exemples endogènes à nos sociétés : « la lapidation de la femme, le refus de s’intégrer, la violation de ce que nous avons de plus cher… »
Pour ce qui est des raisons extérieures, l’ancien chef de l’État se contente d’appeler à « l’anéantissement total de la barbarie djihadiste et terroriste ». Et d’ajouter toutefois : « dans ce combat, les pays musulmans eux-mêmes ont un rôle capital à jouer ».