L’impact et l’importance de ces manifestations ont surpris le leadership algérien. Dans les centres de la décision politique et militaire qui ont essayé de vendre l’esprit et la nécessité d’un cinquième mandat, elles se vivent comme un choc inattendu. Le pari était le suivant : un pays qui avait accepté avec une grande facilité un improbable quatrième mandat et avalé sans résistance la couleuvre du grand malade qui gouverne, peut par nécessité de sécurité et besoin du conservatisme qui rassure accepté ce cinquième mandat. D’autant que le pari était fait que le peuple algérien qui avait vécu bien la décennie noire réfléchirait à deux fois avant de sortir protester et paver la route à un probable de l’instabilité. Chat échaudé et mordu par le terrorisme craindra forcément l’esprit de manifestations et de contestation de l’ordre établi.
Parce qu’il a réussi à anesthésier toutes les voix discordantes et critiques du cinquième mandat, parce qu’il est parvenu à mettre en ordre de bataille tous les corps intermédiaires, syndicats, corps professionnels et partis politiques et mêmes personnalités militaires influentes, le clan de Abdelaziz Bouteflika croyait à tort que le route du cinquième mandat sera une fable facile à vendre et à imposer, un fleuve tranquille facile à naviguer à vue. Sauf que le grand inattendu est arrivé. Cette stratégie de la prolongation présidentielle a choqué au tréfonds de la société algérienne. Il a suffi de quelques activistes sur les réseaux sociaux munis de quelques slogans de refus et d’indignation pour lever l’étendard de la contestation. Le cinquième mandat est objectivement refusé. Ses promoteurs coincés entre deux logiques : celle d’ignorer cette humeur populaire hurlant sa déception et son amertume et celle de revoir la stratégie du cinquième mandat pour l’adapter un désir de changement et pourquoi pas d’alternance.
Les slogans criées avec la rage du désespoir pendant ce manifestations ne laissent aucun doute sur la détermination et le message politique de ces mouvements : « Pas de 5e mandat", "Ni Bouteflika, ni Saïd" (frère du chef de l’État, souvent perçu comme son successeur potentiel) « Pouvoir assassin !", "Ouyahia, dégage !", ont scandé les protestataires. M. Ouyahia est considéré comme un fidèle de M. Bouteflika dont il dirige le gouvernement pour la troisième fois.
Avec ces manifestations populaires qui promettent de se poursuivre, de grandir et de déteindre sur l’ensemble du territoire, L’Algérie se trouve sur le fil du rasoir. Sa situation, devenue explosive, inquiète énormément son voisinage maghrébin et méditerranéen. Le traitement sécuritaire de ces manifestations et les possibles dérapages provoquent un grand cauchemar d’une incontrôlable déflagration. Il est à craindre que les forces qui promeuvent le cinquième mandat ne soient acculées à des comportements irrationnels si elles se rendent compte qu’elles ont perdu la bataille de l’opinion et que cette élections présidentielle de trop pour Abdelaziz Bouteflika ne se transforme en un véritable bras de fer les réseaux d’intérêts agrégés autour de Bouteflika et la rue algérienne.
Dans ces manifestations, le citoyen algérien crie son indignation de devoir être dirigé par un homme handicapé par la maladie. Il crie son refus de la corruption et de l’injustice et son désir d’une vie politique libérée des affres des clans et des intérêts occultes. Pour la première fois sans doute, le portrait de Bouteflika a été ouvertement piétiné. Pour beaucoup d’algériens, le mur de la peur a été brisé et la parole contestataire libérée. Cette nouvelle donne impose à l’équipe du président Bouteflika de repenser sa stratégie. Avec cette interrogation en dents de scie : Passage en force ou recul stratégique. Les Algériens et tous les pays de la Méditerranée retiennent leurs souffles et prient en silence que la raison triomphe face à l’instabilité.