Le procès-fleuve du Mediator a débuté à Paris, neuf ans après la révélation du scandale

Neuf ans après le retentissant scandale du Mediator, un antidiabétique tenu pour responsable de centaines de morts, le procès des laboratoires Servier et de l’Agence du médicament s’est ouvert lundi à Paris pour plus de six mois.

Sur le banc des prévenus: le groupe pharmaceutique et neuf filiales, ainsi que l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et plusieurs de ses membres mis en cause pour leurs liens avec Servier. Leur feront face les avocats des parties civiles représentant les milliers de plaignants, qui exigent "réponses et réparation".

Jusqu’au 30 avril 2020, date à laquelle doit prendre fin ce procès pénal hors norme devant le tribunal correctionnel, une question animera les débats: comment ce médicament, largement détourné comme coupe-faim, a-t-il pu être prescrit pendant 33 ans malgré les alertes répétées sur sa dangerosité ?

Pour l’un des avocats des victimes, Charles Joseph-Oudin, "le laboratoire a délibérément menti et caché les propriétés dangereuses du médicament", par "profit". Le groupe Servier s’en défend: "Il n’est pas apparu de signal de risque identifié avant 2009" et son retrait du marché, assure l’un des conseils de la firme, Me François de Castro, qui espère que le procès permettra d’examiner le dossier "intégralement".

Le président des laboratoires, Olivier Laureau, a lui pilonné une "instruction à charge".

Le groupe a déposé trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), qui seront examinées avec d’autres demandes de nullité dans la semaine. La première journée sera uniquement consacrée à l’organisation du procès et à l’appel de la centaine de témoins.

Parmi eux, Irène Frachon, pneumologue à Brest, qui avait la première alerté sur les risques du Mediator et publié un livre-enquête en juin 2010.

"C’est un moment essentiel puisque nous attendons ce procès pénal depuis des années", a-t-elle déclaré devant une salle d’audience spécialement aménagée, dénonçant une nouvelle fois "un déni de responsabilité sans fin" de la part du laboratoire.

Jusqu’à son retrait du marché le 30 novembre 2009, le Mediator a été utilisé par cinq millions de personnes en France. Il est à l’origine de graves lésions des valves cardiaques (valvulopathies) et d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), une pathologie rare et mortelle, et pourrait être responsable à long terme de 2.100 décès, selon une expertise judiciaire.

"Réalité terrifiante"

Le procès concernera essentiellement des faits de "tromperie aggravée", l’instruction pour "homicides et blessures involontaires" étant toujours en cours, même si ont été joints à l’audience les cas de 91 victimes – dont quatre sont décédées – pour lesquelles les expertises ont conclu à une causalité entre les pathologies et le Mediator.

Toutefois, une grande partie de ces victimes corporelles ont accepté des accords transactionnels d’indemnisation avec Servier en vertu desquels elles se désisteront de la procédure pénale.

Ce qui s’est passé "c’est une horreur. On a fait fi de la vie des gens", a déclaré avant l’audience l’une de ces parties civiles, Christine Langellier, 56 ans, à qui du Mediator a été prescrit en 1995 pour lui faire perdre du poids, avec des "répercussions épouvantables".

Selon son avocat, Jean-Christophe Coubris, qui défend au total 1.650 parties civiles, les victimes attendent qu’"il y ait enfin justice" et que "les mensonges de Servier réitérés encore aujourd’hui puissent cesser, que l’on mette à mal tout ce système".

Lisa Boussinot, dont la mère Pascale Sarolea est décédée à cause du Mediator, veut, elle, être là "de manière symbolique".

Malades, éloignées ou "désabusées", de nombreuses autres victimes ne feront en revanche pas le déplacement, pointe Me Joseph-Oudin, qui veut éviter "un procès d’experts". "Il faut rappeler au tribunal la réalité terrifiante des désastres et méfaits du Mediator", insiste-t-il.

Onze personnes morales et douze personnes physiques comparaîtront au total. Cinq mis en cause sont décédés lors de l’instruction, dont le principal protagoniste, le fondateur des laboratoires Jacques Servier, mort en 2014 à 92 ans, au grand dam des victimes.

Le groupe Servier devra répondre de sept infractions, dont "escroquerie" au préjudice de la sécurité sociale et des mutuelles.

A son côté, l’ANSM, qui a remplacé l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) après le scandale, sera jugée pour "homicides et blessures involontaires" par "négligences", pour avoir tardé à suspendre le médicament malgré de nombreuses alertes.

En France, de premiers cas de valvulopathies et d’HTAP avaient été signalés dès 1999, et le Mediator avait été retiré de la vente en Espagne et en Italie en 2003.

Le groupe Servier et l’ANSM encourent des amendes et l’indemnisation de nombreuses victimes.

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