Le Maghreb et la présidentielle française
Proximité historique, géographique et linguistique oblige, les Maghrébins suivent avec une passion certaine le déroulé des élections présidentielles françaises, si intense qu’elle ressemble parfois à celle que porte les amateurs de football au championnat espagnol.
Par Mustapha Tossa
Aujourd’hui, alors que la course au palais de l’Elysée se jouera le 7 mai prochain entre le centriste Emmanuel Macron et l’extrémiste Marine Le Pen, le Maghreb dans son ensemble est pour une fois unanime à choisir et à voter Macron. Pas de doute que les appareils diplomatiques des pays du Maghreb s’activent déjà pour prendre pied dans son entourage, histoire d’approcher les leviers de commande pour pouvoir influencer sa politique et ses positions.
Durant cette interminable campagne présidentielle, Emmanuel Macron, jeune étoile de la politique française, avait déjà provoqué des étincelles d’admiration sur la rive sud de la Méditerranée. En Algérie, lorsqu’il avait sorti sa fameuse phrase sur "le colonialisme, crime contre l’humanité", applaudie par les algériens. Et au Maroc, Macron est arrivé en tête chez les Français et les binationaux installés au Royaume. Pour les différentes capitales du Maghreb, Emmanuel Macron rassure. Car d’une part, il permet d’envisager, en toute responsabilité et rationalité, une continuité dans les grands choix diplomatiques français. Ensuite ses propositions d’accentuer les multiples partenariats économiques et stratégiques avec cette région pour tenter d’apporter de solutions à la crise migratoire et sécuritaire est de nature à apaiser les angoisses.
Sur le Maghreb. Emmanuel Macron semble avoir sa propre vision qu’il avait détaillée au magazine Jeune Afrique: "La France a des relations fortes avec l’Algérie, avec le Maroc mais aussi avec la Tunisie, qui sont basées sur des relations humaines et des intérêts communs majeurs. Ce seront des partenaires essentiels dans le cadre de l’initiative en direction de la Méditerranée et de l’Afrique que je souhaite engager dès le début de mon mandat. Je me suis déjà rendu en Algérie et en Tunisie et si je n’ai pas encore pu aller au Maroc, je m’y rendrai très rapidement après mon élection, si les Français m’accordent leur confiance ».
Sur la relation Maroc-Algérie, Macron a en revanche préféré botté en touche : « Je n’ai pas à commenter la nature des relations entre le Maroc et l’Algérie car il s’agit de deux pays souverains. Je crois profondément à l’intérêt des pays du Maghreb à coopérer davantage, à intensifier leurs relations économiques, qui restent faibles, de la même manière qu’ils développent leurs relations avec le reste du continent africain ».
De l’autre côté, Marine Le Pen est fondamentalement rejetée par les pays du Maghreb. Durant sa campagne électorale et pour se donner une ampleur internationale, elle s’est rendue au Liban, en Egypte, au Tchad et en Russie. Mais à aucun moment, il n’était question de poser pied dans les pays du Maghreb. Quand son concurrent Macron pouvait s’y pavaner avec délectation, elle, Marine Le Pen ne pouvait regarder que de loin ces pays dont le destin reste malgré tout enchevêtré à celui de la France.
Et pour cause. Le programme de Marine Le Pen est en soi un danger pour les intérêts vitaux de ces pays. D’abord sa fixation pathologique sur les questions d’immigration. Outre qu’elle développe un malaise dangereux sur le vivre ensemble de ces communautés d’origine maghrébine qui ont fait de la double culture et la double allégeance une richesse et un atout, Marine Le Pen, fidèle aux traditions d’exclusion et de racisme de l’extrême droite, fait de l’immigré le bouc émissaire de tous les échecs et autres obsessions françaises. Sur le plan européen, Marine Le Pen porte un projet qui non seulement vise à démanteler les structures de la maison commune européenne, mais aussi à remettre en cause les grands équilibres qui lient les deux rives de la Méditerranée, avec tout ce que cela implique comme menaces, crises et autres tensions d’ampleur sécuritaire et économique.
Pour le Maghreb, entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron, il n’y a pas photo. Les choix du cœur et de la raison vont vers le jeune prodige de la politique française Emmanuel Macron, l’homme qui a su terrasser les structures partisanes traditionnelles et démenti toutes les augures. Mais il reste que pour Rabat, comme pour Alger comme pour Tunis, une extrême droite française, présente au second tour de cette présidentielle, capable de réaliser des scores aussi hauts, aussi imposants, est source d’inquiétude. Cette situation renseigne sur l’Etat d’esprit d’une société capable d’installer et d’adouber l’extrémisme politique au coeur de ses institutions.