La chute du gouvernement Bayrou ravive les espoirs d’Alger

La crise politique qui secoue la France est observée avec une attention particulière depuis les capitales du Maghreb. Rien d’étonnant ! Mais cette fois, l’intérêt manifesté par le régime algérien atteint une intensité inédite, tant les enjeux semblent cruciaux à ses yeux.

Depuis l’aggravation des tensions entre Paris et Alger, consécutive à la reconnaissance par Emmanuel Macron de la souveraineté du Maroc sur son Sahara, la stratégie du régime algérien a consisté à concentrer toute son hostilité sur un homme, Bruno Retailleau, et sur un parti, l’extrême droite, présentée par la presse algérienne comme le refuge des nostalgiques de «l’Algérie française».

Bruno Retailleau est ainsi devenu, pendant de longs mois, le totem maudit des médias algériens. Leur exercice éditorial favori – et visiblement imposé – consistait à l’attaquer quotidiennement, avec une virulence telle qu’il apparaissait presque comme l’unique responsable de la dégradation des relations entre Paris et Alger. Cette mise en scène offrait un certain confort au régime algérien dans sa lecture de la crise: si tension il y avait, ce n’était pas, selon lui, parce que la République française refusait de composer avec un régime militaire fondé sur la prédation économique, mais parce qu’en France subsistaient des forces politiques d’extrême droite, voire de droite, encore animées par un passif colonial à solder avec les Algériens. Cette doctrine a longtemps servi de carburant à la propagande officielle d’Alger en direction de Paris.

« Vous voulez que je démissionne pour faire plaisir à M. Tebboune?« 

À plusieurs reprises, Alger a adressé des messages clairs à l’Élysée: si Bruno Retailleau disparaissait du paysage gouvernemental, la relation franco-algérienne pourrait connaître un apaisement. Dans cette logique, le régime algérien attendait de Paris un geste politique fort, qui servirait de prétexte à toutes les concessions réclamées par la France: de la libération de Boualem Sansal et de Christophe Gleizes jusqu’à une coopération élargie sur les expulsions d’Algériens sous le régime des OQTF. La pression était telle que Bruno Retailleau lui-même ironisait sur la situation: «Vous voulez que je démissionne pour faire plaisir à M. Tebboune?»

Mais ce geste, tant espéré et réclamé par Alger, n’est jamais venu. Et pour cause: la France refuse que l’Algérie s’arroge le droit de dicter la composition de son gouvernement. La crise s’est donc installée dans la durée, embrassant l’ensemble de l’exécutif français, du Premier ministre François Bayrou au président Emmanuel Macron. Cette généralisation de la colère algérienne a eu deux effets majeurs: d’une part, l’effacement du ciblage sélectif qui faisait de Bruno Retailleau le bouc émissaire privilégié, avec les répercussions politiques que cela impliquait; d’autre part, l’imposition d’un langage de vérité au sein de tout l’exécutif français, contraint désormais d’affronter sans fard les défis immédiats que pose la relation avec Alger.

Malgré cette tenaille, les convulsions de la vie politique française, qui ont annoncé la chute imminente du gouvernement Bayrou, nourrissent à Alger l’espoir de voir une partie de la gauche s’inviter dans la nouvelle configuration du pouvoir post-Bayrou.

Dans son bras de fer avec Paris, Alger a trouvé un relais précieux au sein de l’extrême gauche française, prompte à reprendre ses éléments de langage. La France insoumise, en particulier, a offert au régime algérien des alliés solides: certains mus par une hostilité viscérale à l’égard de la droite, d’autres fascinés par le pseudo-mythe révolutionnaire algérien. Sur les quais de Seine, cette extrême gauche a amplifié la propagande d’Alger, donnant l’illusion d’un spectre politique français scindé entre une droite «algérophobe» et une gauche radicale «algérophile». Mais ce récit a récemment vacillé avec l’affaire Rima Hassan.

Longtemps porte-voix de la rhétorique algérienne à Paris comme à Bruxelles, la députée européenne de LFI s’est retrouvée dans la ligne de mire d’Alger pour avoir rappelé une évidence: contrairement à ce que prétend le régime, la cause palestinienne n’a rien de commun avec celle du Polisario, et les confondre relève d’une erreur stratégique majeure.

À la lumière de ces constats, le régime algérien nourrit ouvertement l’espoir qu’une figure de gauche puisse reprendre les rênes du pouvoir après la démission du gouvernement de François Bayrou. Un éventuel retour de la gauche à l’exécutif offrirait à Alger l’opportunité de solder, au moins en partie, son lourd passif avec Paris. D’où cette impression, de plus en plus palpable, que tout changement de configuration gouvernementale en France – et notamment une hypothétique sortie de Bruno Retailleau du ministère de l’Intérieur – pourrait servir de prétexte politique au régime algérien pour amorcer une marche arrière dans sa stratégie d’escalade et de rupture avec la France.

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