Près de trois semaines après l’ouverture d’une enquête par le parquet de Paris, l’actrice de 30 ans, récompensée par deux César, s’est rendue mardi après-midi dans les locaux de l’Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) à Nanterre pour y être auditionnée par des policiers sur les faits qu’elle reproche au réalisateur.
En fin d’après-midi, alors que l’audition était toujours en cours, ses avocats ont annoncé qu’elle avait décidé de porter plainte contre M. Ruggia avec qui elle a tourné, à l’âge de 13 ans, son premier film, "Les Diables".
"Désormais sollicitée par le service d’enquête, Adèle Haenel s’engage activement dans cette procédure, considérant qu’il est de sa responsabilité de justiciable comme de personnalité publique d’y prendre part, au regard de la gravité des faits dénoncés et des conséquences pour chacun", ont expliqué Me Anouck Michelin et Me Yann Le Bras dans leur communiqué.
Dans une enquête publiée début novembre par Mediapart, l’actrice a dénoncé "l’emprise" que Christophe Ruggia aurait exercée sur elle pendant la préparation et le tournage du film, puis un "harcèlement sexuel permanent", des "attouchements" répétés et des "baisers forcés dans le cou", qui auraient eu lieu chez lui et lors de plusieurs festivals internationaux, le tout alors qu’elle était âgée de 12 à 15 ans.
Cette dénonciation a fait grand bruit dans l’univers du cinéma français, de nouveau ébranlé quelques jours plus tard par de nouvelles accusations de viol visant Roman Polanski.
Adèle Haenel n’avait toutefois jusqu’à présent pas déposé de plainte, regrettant qu’il y ait "si peu" de condamnations dans ce type d’affaires et dénonçant "une violence systémique faite aux femmes dans le système judiciaire".
Des déclarations qui avaient fait réagir plusieurs membres du gouvernement: si la garde des Sceaux Nicole Belloubet et le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner avaient enjoint l’actrice à saisir la justice, la secrétaire d’Etat à l’égalité femmes-hommes Marlène Schiappa avait affirmé "partager, hélas" son constat et évoqué un "à-quoi-bonisme ?" des femmes face à la justice.
Le parquet de Paris a pris l’initiative, quelques jours après la publication de l’enquête de Mediapart, d’ouvrir une enquête pour "agressions sexuelles" sur mineure de moins de 15 ans "par personne ayant autorité" et "harcèlement sexuel".
"Statut de victime"
Ce sont, par ailleurs, "les dénégations publiques" de Christophe Ruggia qui l’"ont déterminée à obtenir judiciairement la reconnaissance de son statut de victime", ont expliqué ses avocats. "En coopérant pleinement à l’enquête, elle entend faire lever tout doute qui confinerait à accorder une impunité".
Début novembre, Christophe Ruggia, qui a été radié par la Société des réalisateurs de films, avait nié toute agression envers Adèle Haenel. Un peu plus tard, dans un droit de réponse à Mediapart, il avait dit avoir "commis l’erreur de jouer les pygmalions avec les malentendus et les entraves qu’une telle posture suscite".
"Je n’avais pas vu que mon adulation et les espoirs que je plaçais en elle avaient pu lui apparaître, compte tenu de son jeune âge, comme pénibles à certains moments. Si c’est le cas et si elle le peut, je lui demande de me pardonner", avait-il déclaré.
Au-delà de son cas personnel, Adèle Haenel "espère que cette affaire participera au développement d’un système judiciaire plus apte à accompagner (les femmes) dignement et à recevoir leurs récits sur des faits difficiles à dénoncer et à faire juger", concluent ses avocats.
"Bravo Adèle Haenel !", a salué sur Twitter Andréa Bescond, réalisatrice et actrice des "Chatouilles", un film sur la pédophilie. "Toujours mettre la justice en face de son devoir ! de ses responsabilités ! (…) Il n’y a que les chiffres qui feront avancer la qualité de la prise en charge juridique !", a-t-elle écrit.