Le plus croustillant dans cette affaire, c’est qu’en l’espace de quelques heures, les français ont assisté à une affaire dans l’affaire. La première fut quand Jacques Chirac donne libre cours à ses choix en répétant à plusieurs reprises qu’il voterait Hollande sauf si Alain Juppé se présente parce qu’il " l’aime bien". La seconde fut quand, tentant de rattraper ce qui s’apparente à une vraie rupture, le même Chirac évoque un mystérieux humour corrézien.
Et pourtant rien dans la vidéo dans laquelle Jacques Chirac fait sa déclaration de préférence à François Hollande ne laissait entrevoir le moindre esprit potache. Tout dans la déclamation et même l’expression du corps indiquait une réelle conviction et une détermination à contre courant. Au point qu’une main autoritaire dans son entourage tente de le faire taire de force. Le Chirac qui parlait de Hollande n’avait aucune once d’humour. Bien au contraire, une colère froide et une envie de dire d’un homme contraint dans son expression.
Quelques temps après un communiqué signé Jacques Chirac tente de clore la grande polémique provoquée par de cette déclaration. "Humour corrézien" entre républicains pour justifier un tel écart, faire taire le feu de la colère et de la contestation qui gronde. Que s’est-il passé entre temps pour que Jacques Chirac fasse une aussi nette marche arrière? Un conseil de famille houleux dans lequel Bernadette Chirac qui, même si elle aime bien elle aussi François Hollande, garde une préférence pour Nicolas Sarkozy? Une réunion de crise de l’état major de la droite pour éteindre cet incendie? La formule de l’humour corrézien a été trouvée. Si elle étouffe momentanément une grande fissure politique il n’en souligne pas moins les grosses rayures.
Jacques Chirac a dit sa préférence de Hollande et cela prend sens dans la mesure où il vient de l’encenser dans le second tome de ses mémoires. Fait remarquable aussi les coups de griffes lancés en direction de Nicolas Sarkozy qui soulignent la persistance de la déception et de la rancune. Entre les deux hommes, la rupture est consommée depuis longtemps. Elle vient de prendre la forme d’un petit renvoi d’ascenseur vengeur que le temps n’a pas réussi à calmer.
La sortie de Chirac sur Hollande a provoqué une énorme gêne à droite. Les portes parole de Nicolas Sarkozy dans les Medias, d’habitude si volubiles, en ont perdu la parole et l’inspiration. Il faut dire aussi que l’affaire était difficile à gérer. Comment répondre à Jacques Chirac sans l’attaquer ouvertement sur son bilan et sa santé et risquer de nourrir la discorde au sien de la droite que Nicolas Sarkozy rêve d’unir avant de partir à la reconquête de l’Elysée?
La gauche, quant à elle, jubile. Elle a utilisé cet épisode pour transmettre le message suivant: même au sein de la propre famille politique de Nicolas Sarkozy, le désir d’alternance est effervescent. Nicolas Sarkozy est un homme qui a fait suffisamment du vide autour de lui que même un homme, un ancien Président de la république, qui a avait promis de ne pas se mêler de la campagne présidentielle, n’ose plus se retenir.
Le seul qui perd peu et gagne beaucoup dans cette affaire est l’adoubé lui même, François Hollande. Qu’un ex-chef de l’Etat, de droite de surcroit, lui reconnait des qualités d’homme d’Etat et se dit prêt à voter pour lui, cela peut participer à créer cet aura de candidat sérieux, capable d’être de gauche et de forcer l’admiration de ses adversaires de droite. Le grand consensuel. Le seul hic dans l’histoire est que ce soutien risque d’être utilisé contre François Hollande par ses nombreux détracteurs au sein du PS lui même. Sur le ton, un homme qui trouve grâce aux yeux de Chirac est-il vraiment un homme de gauche? C’est ce qui explique que le premier à relever le ton de plaisanterie de la déclaration de Chirac fut Hollande lui même.
Par Mustapha Tossa