1- L’IA, comme outil de création artistique, connaît aujourd’hui un développement fulgurant de par le monde. Au Maroc, la scène artistique et culturelle est-elle prête à accueillir cette technologie révolutionnaire ?
L’IA s’impose progressivement comme un nouvel outil de création dans le monde entier, et le Maroc commence lui aussi à explorer son potentiel dans les arts et la culture.
La scène artistique marocaine s’éveille prudemment à l’IA. Des projets pilotes voient le jour dans plusieurs disciplines (arts visuels, littérature, musique, cinéma), souvent soutenus par des institutions culturelles et un partenariat international. Néanmoins, le nombre de créateurs marocains spécialisés en IA reste limité pour l’instant. Mais l’engouement suscité par ces premières expériences et l’appui des autorités (ministère, fondations, instituts) indiquent que le Maroc se déclare prêt à accueillir cette technologie.
La jeune génération d’artistes montre une curiosité croissante pour ces outils – par exemple en se formant au prompt engineering, cette compétence émergente qui consiste à savoir dialoguer avec les modèles génératifs. Si le Maroc n’en est qu’à une phase exploratoire, l’infrastructure culturelle et l’intérêt du public laissent penser que le pays pourra, avec les bonnes ressources, intégrer l’IA dans la création artistique tout en valorisant son identité propre.
2- Quels sont les prérequis pour jeter les bases d’une IA nationale, souveraine et adaptée aux spécificités du paysage culturel marocain ?
On peut identifier cinq piliers pour bâtir une IA culturelle nationale et souveraine. D’abord, il faut promouvoir le financement et l’investissement en soutenant la recherche, la création de startups et les projets culturels innovants utilisant l’IA. Deuxièmement, il faut former à la fois des ingénieurs en IA et des artistes/créateurs capables d’utiliser ces technologies. Cela implique d’intégrer l’IA dans les programmes éducatifs (écoles d’art, universités, centres de formation) et de multiplier les ateliers, les résidences et les cours spécialisés.
En troisième lieu, l’IA exige des infrastructures technologiques robustes (calcul haute performance, accès au cloud, bases de données) qui doivent être disponibles localement. Le Maroc a fait des progrès en matière de télécommunications et a inauguré des data centers, mais des améliorations sont encore nécessaires pour atteindre le niveau des grands pôles technologiques. Quatrièmement, il faut un encadrement juridique et éthique clair. À ce jour, le Maroc ne dispose pas encore de loi spécifique sur l’IA, ce qui crée un vide juridique. Il est crucial d’actualiser les textes et d’établir des normes propres à l’IA.
Enfin, construire une IA culturelle signifie notamment constituer des bases de données nationales souveraines riches en contenus marocains (textes, images, audio du patrimoine) en arabe classique, darija et tamazight.
C’est en s’appropriant l’outil et en l’orientant vers ses propres références que le Maroc pourra construire une IA réellement souveraine et distinctive, plutôt qu’une simple importation de modèles étrangers.
3- Quels sont les défis que pose le développement de l’IA artistique en matière de protection de la propriété intellectuelle ?
Le déploiement de l’IA dans le secteur culturel soulève d’importants défis juridiques en matière de droits d’auteur et de propriété intellectuelle. Les notions classiques d' »auteur », d' »œuvre originale » et d' »infraction » deviennent floues lorsque la création est partiellement ou totalement automatisée. Il en résulte de nombreuses zones grises juridiques : l’entraînement des IA sur des données protégées est-il du piratage ou une utilisation équitable ? Une image ou une musique générée peut-elle être protégée si aucune main humaine ne l’a directement produite ? Et comment partager la valeur lorsque l’IA a pioché son inspiration dans des milliers d’œuvres préexistantes ? Pour l’instant, ni la législation marocaine ni la jurisprudence internationale n’offrent de réponse définitive.
Il est opportun de sensibiliser les artistes sur l’utilisation de cette technologie et travailler avec et non contre l’IA. Autrement dit, trouver un terrain d’entente où l’IA devient un outil au service de la créativité, et non une menace. La voie d’une régulation équilibrée implique que les créateurs conservent le contrôle de leur art et une juste part de la valeur, tandis que les développeurs d’IA disposent de règles du jeu claires pour innover sans spolier autrui.
Le Maroc, modèle en matière de protection de la propriété intellectuelle en Afrique, aura à cœur d’actualiser son arsenal juridique pour relever ce défi inédit. Les mois et années à venir seront décisifs pour élaborer ces nouveaux équilibres où l’IA et le droit d’auteur pourront coexister au bénéfice de la culture.
