Elections législatives : « Un raz-de-marée des islamistes marocains du PJD est exclu » (Alexandre Adler)
Je ne crois pas à la fatalité quant à une supposée victoire des islamistes marocains aux élections législatives du 25 novembre. Les islamistes tunisiens ont occupé tous les espaces après l’effondrement du régime de Ben Ali. Au Maroc, rien de tel ne s’est produit. Il y a eu plutôt une adhésion massive en faveur d’une réforme. Le PJD depuis plusieurs années joue avec le palais en se présentant comme une force constructive. La seule chose dont on peut être certain est que l’actuelle modération observée par Ennahda va servir de propagande pour le PJD.
La situation du Maroc n’est pas comparable aux autres pays du Maghreb. Le Maroc a fait l’expérience d’un pluralisme politique important et pratiquement sans interruption depuis l’indépendance. Depuis , il existe des partis politiques organisés et un débat politique qui a donné lieu à l’existence d’analyses différentes de la société. C’est un aspect très important de l’héritage marocain. Dans ces conditions, un raz de marrée du PJD comme celui qu’Ennahda a réussi à réaliser en Tunisie me semble exclu au Maroc. En revanche, il n’est pas impossible que le PJD apparaisse à l’issue de ces élections comme l’un des partis importants. Mais il n’aura certainement pas la situation qu’Ennahda s’est acquise en Tunisie et que les frères musulmans égyptiens, au moins jusqu’aux derniers évènements de la Place Tahrir au Caire, espéraient aussi acquérir.
Peu-t-on parler d’un retour en force de l’islamisme politique et gestionnaire ?
Le phénomène islamiste dans le monde musulman n’est un phénomène positif. Les islamistes ont des idées négatives en matière notamment des droits de la femme, du statut des minorités de toute nature, des relations internationales. Le développement de la démocratie va permettre à des forces qui refusent la logique de l’islamisme de l’emporter. Le peuple marocain a cette chance.
La fragmentation du champ politique marocain peut-elle présenter une opportunité pour le PJD ?
La reconstitution de la Koutla ou la formation d’autres coalitions représentent à l’opposée de la Tunisie une véritable force face au parti d’Abdelilah Benkirane. Encore une fois, la situation au Maroc n’est comparable à la Tunisie. Puis n’oublions pas l’importance du Mouvement berbère qui dispose de réserves de voix importantes. La poussée du PJD pourrait être forte en raison de la crise que traverse l’Istiqlal et de son expérience à la tête du gouvernement, mais elle ne sera pas décisive.
Le Maroc a toujours intégré des forces politiques très différentes. Il ya une tradition marocaine de compromis car le Maroc est un véritable Etat qui est inscrit dans la durée historique. J’espère que l’islamisme marocain suivra cette tradition de sagesse.
La réforme de la Constitution et la tenue d’élections législatives anticipées annoncent-elles une nouvelle ère au Maroc ?
La nouvelle ère a commencé avec la réforme constitutionnelle et la transformation du pouvoir monarchique. A certains égards, c’est un tournant aussi important que l’a été l’indépendance du Maroc. Le Maroc rentre dans une nouvelle phase de son histoire et si on y ajoute le fait que le Maghreb tout entier va maintenant basculer dans une phase beaucoup plus active et qu’à l’intérieur de ce Maghreb, le Maroc est le seul Etat puissant disposant d’une légitimité et d’un débat politique plus ancien, c’est évidemment un surcroit de responsabilité sans commune mesure avec ce que le Maroc a connu dans le passé.
Y-a-t-il une corrélation entre ces réformes et le Printemps arabe ?
Il y a évidement une corrélation. Mais depuis son avènement, le roi Mohammed VI a mené des réformes. La plus emblématique est celle de la Moudawana. Il y a aussi l’amélioration considérable du climat d’expression, de la liberté de presse et celle d’entreprendre. C’est la raison pour laquelle le Maroc n’a pas connu l’explosion tunisienne. La Tunisie était une véritable cocotte-minute. Le Maroc n’a pas cessé d’élargir les espaces d’expression de telle sorte que la majorité de la population s’y retrouvait dans la démarche monarchique. Depuis la mort du roi Hassan II, la monarchie a été réformée de manière importante même si le roi défunt n’a jamais tenu une dictature exclusive comme l’a fait Ben Ali de manière totalement absurde.
A l’issue de ce scrutin, le futur chef de gouvernement sera tenu responsable de ses actes et de ceux de son gouvernement..
Pour les Marocains, le premier ministre n’a été qu’une sorte de rouage administratif. Aujourd’hui les choses vont aller différemment. Dans l’état actuel des choses, lorsqu’on voit ce qui se passe en Tunisie, en Lybie, au Caire, en Syrie, le monde arabe a plus besoin d’être dans l’action. Il faut absolument que le Maroc donne le sentiment d’aller de l’avant. Beaucoup de choses dépendent de lui, d’abord pour le peuple marocain, mais aussi pour l’ensemble du Maghreb, voire pour le monde arabe. Aujourd’hui, le Maroc est en train de rentrer par la grande porte dans l’Histoire. A certains égards, le prestige du Maroc est comparable à celui dont a bénéficié le roi Mohammed V à l’indépendance et qui a été contesté par une Algérie révolutionnaire. L’histoire revient en arrière et donne au Maroc une opportunité d’être un leader en matière de réformes dans le monde arabe.