La rencontre des deux Rois
Elle sera symbolique et riche d’enseignements cette image de la première rencontre entre le Roi du Maroc Mohammed VI et celui d’Espagne, Felipe VI, récemment intronisé depuis que son père Juan Carlos ait abdiqué en sa faveur. Il est vrai que les deux hommes ont déjà eu l’occasion de se rencontrer mais ce lundi 14 juillet le niveau politique de leur rencontre atteindra un niveau jamais égalé.
Par Mustapha Tossa
Entre le Maroc et l’Espagne, il y a deux niveaux de relations. Celui entre les deux familles royales, empreint d’estime et d’affection et celui entre les deux Etats qui a connu au fil des années des hauts et de bas. Sur les quinze dernières années, l’âge du règne du Roi Mohammed VI, les deux pays sont passés du froid aux chaleureuses retrouvailles entre pays voisins dictées par des intérêts mutuels.
La phase la plus sombre des relations entre le Maroc et l’Espagne a été vécue du temps de l’ancien Premier ministre conservateur José Maria Aznar. Avec l’épisode de l’Ile de "Leila" pour reprendre la dénomination marocaine, les deux pays étaient au bord de la rupture et de l’affrontement, sauvés à la dernière minute par une efficace médiation du Secrétaire d’Etat Colin Powell. Aznar développa à l’égard du Maroc un antagonisme et une antipathie qui lui a bien été rendue.
Les relations entre les deux pays ne reprirent leur embellie qu’avec l’arrivée du socialiste José Luis Zapatero. Les tensions ont été enterrées et la coopération entre les deux pays fut mise sur d’excellents rails au point que plus tard l’Espagne a réussi la performance de détrôner la France du rôle de premier fournisseur du Maroc, un titre longtemps détenu avec une jalousie possessive par Paris.
Le retour des conservateurs au pouvoir en la personne de Mariano Rajoy avait suscité quelques inquiétudes de la renaissance de cette tension à l’égard du Maroc propre à la droite espagnole. Mais la surprise fut agréable de voir Rajoy suivre une politique plus apaisée, plus réaliste. Plusieurs raison expliquent le choix de ce chemin. La crise économique qui a violemment frappé l’économie espagnole a fait du Maroc une chance pour sa possible croissance et un levier efficace pour sa relance. L’instabilité politique provoquée par le printemps arabe et les dangereuses évolutions sécuritaires au Sahel ont fait du Maroc voisin un îlot de stabilité qu’il faut aider et soutenir. Signe des temps, l’Espagne qui ouvrait ses portes aux activistes du Polisario est en train de se convertir à la religion de l’autonomie du Sahara défendue par le Maroc avec un certain succès dans les forums internationaux.
Malgré cette entente et ce bon voisinage, les deux pays sont concurrents sur plusieurs domaines économiques et affrontent ensemble la même tragédie de l’immigration subsaharienne dont les images des candidats à la traversée font régulièrement le tour du monde. Dans leurs rapports avec l’Union européenne, la longue et difficile négociation de l’accord de pêche qui bénéficie grandement aux chalutiers espagnols laissa des traces. L’actuelle négociation sur "l’accord agricole" se fait dans la douleur. Les deux pays se font une grande concurrencée pour introduire leurs produits à la qualité presque similaire sur le marché européen. Dans ce domaine particulier l’Espagne voit en le Maroc un redoutable concurrent dont il faut réduire la sphère d’influence.
Mais les deux pays affrontent ensemble l’afflux des candidats à l’immigration subsaharienne. Et parce que l’Europe les a cantonnés dans le rôle de gendarme pour protéger son flanc sud, Rabat et Madrid bataillent pour demander davantage de moyens pour absorber le choc d’une telle situation. Signe là aussi d’une entente sécuritaire, des patrouilles communes naviguent régulièrement pour stopper les vagues d’immigration qui fin en vers la rive nord de la. Méditerranée.
Toutes ces questions politiques et stratégiques seront présentes en filigrane dans la rencontre entre les deux jeunes Rois. Et parce qu’ils appartiennent à la même génération, ils peuvent insuffler à la relation maroco-espagnole une nouvelle dynamique qui la préserverait des antagonismes inutiles et donne à leur relation l’ampleur qu’imposent l’histoire et la géographie.