Selon les résultats définitifs, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) est arrivé sans surprise en tête du scrutin mais n’a recueilli que 40,7% des suffrages et 255 sièges de députés sur 550, le contraignant pour la première fois à former un gouvernement de coalition.
Autre première dans le paysage politique turc, le parti kurde HDP (Parti démocratique du peuple) a largement franchi la barre des 10% imposée aux partis pour obtenir un siège sur les bancs du Parlement. Avec 132,9% des voix, il en obtient 80.
"Nous avons remporté une grande victoire (…) ceux qui veulent la liberté, la démocratie et la paix ont gagné, ceux qui veulent l’autoritarisme, qui sont arrogants et qui se considèrent comme les seuls détenteurs de la Turquie ont perdu", a déclaré le chef de file du HDP, Selahattin Demirtas, lors d’une conférence de presse à Istanbul.
Le HDP comptait déjà 29 sièges dans l’Assemblée sortante. Mais ils avaient été élus sous l’étiquette indépendante pour contourner le seuil obligatoire des 10%. Ces députés n’avaient retrouvé leurs couleurs et formé un groupe qu’une fois en fonction.
Les deux autres principaux concurrents du parti au pouvoir, le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate) et le Parti de l’action nationaliste (MHP, droite), obtiennent 25,1% et 16,4% des voix et totalisent 133 et 82 sièges.
Vainqueur de tous les scrutins depuis 2002, le parti AKP se présentait pour la première fois affaibli face aux électeurs, victime du déclin de l’économie et des critiques récurrentes sur la dérive autoritaire de son chef historique.
Ce premier "raté" électoral sonne comme une sévère défaite pour M. Erdogan, qui avait fait de ce scrutin un référendum autour de sa personne.
"L’AKP n’a pas perdu les élections mais Erdogan a perdu tout espoir de faire passer la Turquie à un système présidentiel", a commenté l’universitaire Ahmet Insel.
Lors de son traditionnel "discours du balcon" depuis le siège de son parti à Ankara, le Premier ministre Ahmet Davutoglu s’est efforcé de minimiser l’ampleur de ce revers.
"Colonne vertébrale"
"Cette élection a montré une fois de plus que l’AKP était la colonne vertébrale de ce pays. Personne ne doit essayer de transformer une défaite en victoire", a-t-il lancé devant des milliers de partisans. "Nous allons poursuivre nos efforts pour changer la Constitution avec le soutien d’autres partis", a-t-il promis.
Premier ministre à poigne pendant onze ans, Recep Tayyip Erdogan a été élu haut-la-main président en août dernier et vise depuis la présidentialisation du régime et le renforcement de ses pouvoirs. Pour y parvenir son parti devait totaliser au moins 330 sièges pour faire passer une réforme de la Constitution.
Alors que la Constitution lui impose une stricte neutralité, le chef de l’Etat a fait campagne pendant des semaines en réclamant "400 députés" pour changer le système parlementaire actuel. Ce régime est "un obstacle au changement", a-t-il répété.
Pendant toute la campagne, l’opposition s’est opposé vigoureusement à son projet, qualifié de "dictature constitutionnelle".
"Nous avons mis un terme à ce qui était une ère de répression par des moyens démocratiques", s’est réjoui le président du CHP, Kemal Kiliçdaroglu. "La Turquie a gagné, la démocratie a gagné", a-t-il insisté.
"C’est le début de la fin pour l’AKP", a commenté le chef du MHP, Devlet Bahçeli.
Grand vainqueur de la soirée, le chef de file du parti kurde HDP, Selahattin Demirtas, a réussi son pari. Ce "quadra" charismatique et ambitieux a mené une campagne moderne, très marquée à gauche et anti-Erdogan qui lui a permis d’élargir son audience au-delà de la seule communauté kurde (20% de la population turque).
Sitôt les résultats confirmés, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Diyarbakir, la "capitale" kurde du sud-est de la Turquie, pour célébrer la victoire du HDP en agitant des drapeaux et en klaxonant.
La campagne a été marquée par de nombreuses violences, visant pour l’essentiel le HDP. Vendredi soir, un attentat à la bombe contre une réunion publique du HDP à Diyarbakir a fait deux morts et plusieurs centaines de blessés.
Aucun incident n’a été signalé pendant le scrutin.