France: Quelle politique économique si l’on veut gouverner au « centre » ?
Pendant des décennies, la France a connu des alternatives droite- gauche, avec des » offres politiques » assez dissemblables en matière économique.
Par Jean Matouk*
La politique macroéconomique était centrée sur la demande. Depuis une vingtaine d’années, le PS a " verdi" son programme, comme l’ont montré l’accord PS-verts avant l’élection présidentielle de 2012, et la loi de transition énergétique de 2014, surtout autour d’une sortie à moyen terme du nucléaire.
Face à une gauche, incapable de " tenir" plus d’un quinquennat législatif, la droite, de retour se présentait toujours comme porteuse d’une politique de l’offre, fondée sur la confiance en l’épargnant pour investir ses capitaux dans l’entreprise. Sa politique économique consistait donc à réduire l’imposition des revenus du capital, promettant, en particulier, sans jamais la réaliser, la suppression de l’impôt sur la fortune. Autre objectif: réduire le coût du modèle social, notamment pour les entreprises, en réduisant de facto les avantages et prestations. Par exemple en allongeant globalement, sans toucher aux régimes dérogatoires, l’âge pour la retraite normale, ou en augmentant le reste à charge pour les patients, en matière de santé, tout en protégeant les avantages familiaux, compte tenu de l’orientation électorale plutôt droitière des « organisations familiales ». Ou encore en réduisant le montant, ou la durée de versement des indemnités de chômage.
Or aucune de ces deux politiques adverses et alternatives, n’est parvenue à éviter la désindustrialisation, ni l’augmentation d’un chômage devenu essentiellement structurel, et plus guère conjoncturel, car toute relance se transforme en déficits commercial du fait même de l’affaiblissement et la détérioration du tissu industriel. La croissance est donc restée atone, tirant vers le bas les recettes budgétaires, et poussant donc à une hausse incessante l’endettement public.
Choisir une politique économique et sociale qui "marche"
Quelle politique économique pourrait mener un gouvernement mettant un terme à ces alternances impotentes ? Pour le résumer, osons utiliser le terme de Tony Blair, si malhonnête qu’il ait été en politique étrangère, lorsqu’il est venu devant l’assemblée nationale française, en 1998: il faut choisir les "politiques qui marchent" et rejeter les autres, sans idéologie.
Mais qu’est-ce qu’une politique économique qui "marche" ? C’est une politique qui crée des emplois, en nombre suffisants pour employer, chaque année , les nouveaux actifs, qui permet de répondre à la demande sans un déficit commercial récurrent, qui génère des recettes fiscales permettant d’équilibrer , en maîtrisant les dépenses, en moyenne sur cinq ou dix ans, les comptes publics, et non d’accumuler de la dette, mais qui ne creuse pas les inégalités, et apporte suffisamment de « sécurité » sociale, pour que la grande majorité du peuple y trouve son compte.
Un tissu de PME prospères au cœur du succès
Pour y parvenir, une seule voie: reconstituer un tissu d’entreprises capables de produire, embaucher, investir pour se développer, et contribuer au financement du modèle social. Or les entreprises françaises existantes étaient – comme l’a montré le rapport Galois de fin 2012 à la suite duquel a été créé le CICE – et restent, surchargées par rapport à leurs concurrentes européennes. Avec une marge brute de 31%, elles ont une capacité moindre d’investir et d’embaucher, face à des concurrents dont la marge brute tourne autour de 40%. Notons, au passage, que, depuis 1981, gauche et droite partagent à égalité la responsabilité de cette détérioration du tissu industriel.
Il est donc indispensable, d’abord, de baisser encore les charges sociales, et de reporter éventuellement, au moins partiellement, le coût du modèle social (santé, chômage, famille) sur l’impôt. Par ailleurs il convient aussi de favoriser encore plus la création et le développement de nouvelles entreprises, visant, comme cela s’est passé régulièrement aux États-Unis, à ce que, parmi les " start up", se trouvent deux ou trois des géants industriels de l’avenir
Relancer l’Europe de l’euro
La poursuite de la construction de l’Europe, et son intégration plus poussée est un objectif commun à de nombreux hommes de gauche et de droite. Pour le réaliser, il faut parvenir impérativement a re-consolider l’axe franco-allemand. Les divergences de nos deux cultures économiques ont, de facto, bloqué l’Europe depuis dix ans, et celle-ci n’a avancé cahin-caha, que sous la pression des crises, notamment la crise grecque. L’ordo libéralisme allemand attache une importance essentielle au respect des traités notamment la convergence budgétaire. Face aux dérives budgétaires françaises, nos voisins allemands sont devenus de plus en plus méfiants vis à vis de tout progrès vers des mutualisations et solidarités permanentes entre les pays de la zone euro. Il est donc indispensable que la France, comme l’Espagne, qui est sur le bon chemin, et l’Italie, montrent des signes clairs de volonté de respect des normes budgétaires. Ceci est directement en opposition avec les annonces des candidats de droite dure ou extrême, et de gauche extrême.
Par contre, l’accumulation des excédents commerciaux allemands est en contradiction avec la logique profonde de la convergence budgétaire. L’équilibre de son budget en est la conséquence. Elle a les moyens d’une relance de l’ensemble de l’économie européenne par ses investissements publics et elle n’a aucune raison légitime, si les autres manifestent un vrai sérieux budgétaire, de refuser une vraie relance par un endettement collectif de la zone euro.
Il y a donc matière à une négociation rapide au sein de celle-ci, ou, de manière plus plausible, dans une coopération renforcée en son sein, regroupant Allemagne, France, Italie, Espagne, Portugal, Belgique, Pays-Bas ,Autriche, Finlande, Irlande, Grèce si sa dette est réduite. Cette coopération renforcée pourrait être "démocratisée, par le vote d’une assemblée « euro », formée des députés européens de ces pays au Parlement actuel, et s’étendre à l’achèvement entre ces pays, de l’Union bancaire, la convergence des taux d’imposition, puis la création d’un véritable budget européen collectif entre eux , à partir de la taxe sur les transactions financière et d’une vraie taxe carbone.
Mais ces mesures ne peuvent "marcher" pour reprendre l’objectif initial, que si elles sont acceptées par les peuples, donc si elles sont accompagnées de mesures de réduction des inégalités, notamment dans l’effort fiscal demandé en substitution des cotisations sociales dans le financement du modèle social. Plutôt que se priver des ressources de l’impôt sur la fortune, pourquoi as le remplacer par un emprunt force auprès des mêmes contribuables? Ceux-ci resteraient propriétaires de leurs fonds et bénéficiaires des éventuels revenus qu’ils génèrent, mais ces fonds seraient investis, par un ou des organismes financiers strictement contrôles, genre BPI, dans des créations et développement d’entreprises innovantes.
Cet ensemble non exhaustif de mesures économiques, se combinerait très bien avec des réformes institutionnelles telles que la réduction du nombre de députés et sénateurs, la non répétition des mandats, une bonne dose de proportionnelle, et, surtout, une transparence financière absolue des élus et ministres, qui sont des revendications constantes du « Centre » politique, pour former un programme de travail déjà assez conséquent à la prochaine majorité.
*Economiste, Professeur des Universités