Le président Saïed a choisi le 6 avril 2022, jour de célébration à Monastir (sahel tunisien) du 22ème anniversaire du décès du leader Habib Bourguiba, pour cueillir tout le monde à froid en les mettant devant le fait accompli.
La réforme du code électoral, ne sera pas un processus concerté dans le cadre d’un dialogue national mais sera, tout simplement, décrétée.
Pour le président tunisien qui se réfère aux résultats de la consultation électronique nationale, les dés sont jetés.
Pour lui, « cette décision est basée sur les recommandations de la consultation électronique et l’Instance Supérieure Indépendante pour les élections (ISIE) supervisera ces échéances après le changement de sa composition ».
Trois jours plus tard, soit le 9 avril, jour de célébration de la fête des martyrs, le président Saïed a défendu ce choix devenu inéluctable, exprimant sa volonté inébranlable de doter le pays d’un parlement qui exprime vraiment la volonté du peuple.
Cela requiert inévitablement la révision de la loi électorale et du mode de scrutin. Le proportionnel avec la plus grande reste en vigueur depuis 2014, source d’effritement des pouvoirs et de tous les dysfonctionnements dont le pays a pâtit, sera remplacé par le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours.
Cela fait que désormais, les élections se dérouleront en deux tours, et les électeurs voteront pour des candidats individuels plutôt que pour des listes. Dans un tel cas d’espèce, pour remporter le siège en lice dans la circonscription électorale, le candidat doit disposer d’une majorité absolue des suffrages exprimés, soit plus de 50 % des voix.
A défaut, un second tour aura lieu nécessairement entre seulement les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix.
Cette décision au demeurant surprenante a poussé de nombreux observateurs à soutenir que le chef de l’Etat tunisien est en train de donner effectivité à son projet politique qui sera certainement validé lors du référendum le 25 juillet prochain.
Il s’agit d’un projet de la démocratie par la base qui repose sur sa conviction que les problématiques locales doivent être résolues au niveau local.
Un projet qui ambitionne de mettre fin au régime partidaire en Tunisie, qu’il accuse de corruption et de fausses alliances politiques, de changer le régime politique, de modifier le système d’élection et donner lieu à un véritable parlement patriotique.
Se trouvant dos au mur, les partis politiques qui s’opposent au président tunisien mais également experts en droit constitutionnel ont fait savoir que ce mode ne sera pas certainement la panacée pour sortir le pays de la crise politique.
Exceptés quelques faibles soutiens, comme ceux ou du parti du Courant populaire, qui ont fait savoir qu’un tel mode est de nature à garantir une majorité parlementaire dans le futur parlement et de prémunir le pays contre la dispersion au niveau des pouvoirs de décision, les autres partis de l’opposition ont donné une fin de non-recevoir à ce projet.
Ces réserves sont venues même de partis il n’y a pas longtemps inconditionnels du Président Saïed. C’est le cas de Zouheir Maghzaoui, secrétaire général du mouvement Echaab, qui a désapprouvé cette option pour le scrutin uninominal pour les prochaines élections législatives, estimant que c’est lors du dialogue national qu’il faudra mettre ce genre de questions sur la table.
Le mouvement Ennahdha était le premier parti à s’opposer à cette alternative, affirmant que ce mode de scrutin n’est pas adopté dans de nombreux pays démocratiques.
Le porte-parole du mouvement Ennahdha, Imed Khemiri, a fait savoir que le scrutin uninominal majoritaire « ouvre la porte aux lobbies de l’argent et de la corruption afin de dominer le processus électoral ».
Pour sa part, le dirigeant au parti « Ettayar », Mohamed Larbi Jelassi, affirme que ce type de scrutin préconisé par le président Saïed est « un système rare et sera un cadeau pour certains voleurs, alors que le Président refuse de discuter avec les voleurs ».
Même son de cloche chez l’homme politique Nejib Chebbi qui appelle à « la formation d’un front de salut national pour contrer ce projet.
Chez les experts en droit constitutionnel se dégage un sentiment de réserve. Pour la constitutionnaliste Salsabil Klibi, l’adoption du mode de scrutin uninominal mènera ipso facto à un parlement plus morcelé, lequel ne peut en aucun cas constituer « un contre-pouvoir ou une force d’équilibre face à un Exécutif puissant.
Elle estime que ce mode, appliqué aux élections législatives, favorisera les candidatures individuelles et mènera droit à une explosion du nombre des candidatures dans chaque circonscription, ce qui constitue « un signe patent de la désintégration de la vie politique tunisienne et débouchera sur un parlement émietté sans majorité, incapable de pouvoir exercer les fonctions qui sont les siennes ».
De son côté, le professeur de droit constitutionnel Abderrazek Mokhtar, a mis en garde contre les « conséquences catastrophiques » de la mise en œuvre de ce mode de scrutin.
Pour lui, un tel mode de scrutin est délétère et favorise la logique clientéliste et la personnalisation du pouvoir, tout comme il se traduira par une marginalisation à outrance des partis politiques.
Face à la nouvelle donne, la polémique ne fait que commencer et l’opposition ne fait que s’amplifier, en attendant le projet préconisé par le président de la république continue, contre vent et marée, à faire son petit chemin de route.