A Meknès, les femmes, cantatrices ou musiciennes, se réapproprient tarab gharnati et malhoun
Longtemps empêchées d’accès à l’univers de la musique (l’histoire ne retient aucune artiste marocaine avant les années 40), les femmes marocaines ont du mener un vrai combat pour pouvoir exprimer leur talent. Et les quelques évolutions surgissent avec l’ouverture au début des années 40 des conservatoires nationaux de Musique de Fès, Tétouan, Marrakech, Rabat, Meknès et Casablanca à la gente féminine. Certaines élèves talentueuses y deviennent même professeurs.
Ces conservatoires nationaux ont permis aux femmes marocaines de mettre en avant leur sensibilité musicale, qu’elles soient joueuses du Qanoûn, de Luth, de la Snitra ou cantatrices ayant emprunté ce patrimoine musical par leurs voix sublimes. Ils ont également reconnu à la femme toute sa place dans la transmission de l’art, qui, pendant très longtemps, fut un domaine réservé exclusivement aux hommes.
Créé en 1940, le conservatoire de Tétouan, aidera à la formation de toute une génération de cantatrices. Abdessadek Chekkara (mort en 1998), maître incontestable et créateur d’un nouveau style d’expression populaire, évoquait avec beaucoup d’estime le nom de Mennana l-Kharraz, femme qu’il considérait comme son inspiratrice dans cet art.
Et c’est dans le souci de participer à l’ancrage du genre musical féminin dans l’espace artistique meknassi, que le grand maître Mohammed Houari, ex-directeur du conservatoire national, chef d’orchestre andalou et fondateur de la Chorale de Meknès de chant andalou, a instauré une tradition musicale originale dédiée à la mémoire de la musique andalouse et du Tarab Almalhoune interprétés par les femmes.
Pour ce faire il a fait appel à son épouse Hayat Boukhris, une grande cantatrice de renommée internationale qui a investi sa voix majestueusement élastique pour des concerts établissant un pont solide (kantara) entre le Maroc, le Machreq et la Méditerranée. Les chansons qu’elle interprète puisent leur origine dans les répertoires du malhoun, du gharnati et des noubas arabo-andalouses du VIIIe siècle, conservés grâce à l’héritage musical qui trouve ses lettres de noblesse au Maghreb, où est il est considérée comme musique classique et savante sous des noms vernaculaires comme al-âla, malouf, san’a, gharnati.
Les instruments maîtres pour ce concert remontent à l’époque de gloire de la civilisation andalou-maghrébine comme le rebab, le oud, le rabel, le qanoûn et le ney, nous explique Hayat Boukhriss, également universitaire et enseignante de la musique savante au conservatoire de Meknès, pour qui l’intérêt qu’elle accorde au Tarab Al malhoun et au Tarb Al-ala, vise en premier lieu à sauvegarder ce genre musical fruit d’influences multiples entre le Maghreb, l’Andalousie et la Méditerranée.
Née et grandie dans l’écoute de rythmes et de poésies passionnantes du chant Malhoun et de la musique Andalouse, deux styles d’art qu’elle a hérité de ses ancêtres poètes et musiciens connus par le raffinement de leur mot et la subtilité de leur mélodie, Hayat Boukhriss, titulaires de plusieurs Prix d’interprétation au Maghreb, au Caire et en Europe, nous confie que cette graine d’art a été semée dans une terre fertile qui a toujours bien accueilli ses enfants amoureux de l’art.
Il s’agit du conservatoire de musique de Lahboul situé dans un Riyad connu jadis sous le nom des maisons de Pachas (Dar lbachawat). Un monument artistique de haute valeur qui menace aujourd’hui ruine sous l’œil insoucieux des autorités municipales. Cet espace a donné naissance à de très belles voix féminines qui ont si bien représenté la ville dans des manifestations culturelles de grande ampleur.
L’exemple de Majda El Yahyaoui est édifiant. Cantatrice distinguée du Malhoun, cette native de Meknès est issue de la grande école du maître Feu Lhoucine Toulali et formée par de grands professeurs tels Maitres Lkhomssi, Elkhayati, El Ouadie et autres.. Majda est reconnue au Maroc et ailleurs par sa voix ajustée au rythme du Malhoun, mais aussi en tant qu’animatrice et présentatrice de l’émission Chada AlAlhane sur 2M, une émission qui a contribué, pendant des années, à la valorisation de l’art Marocain et à son rayonnement.
La contribution de Leila Lmrini n’est pas des moindres. Cette Meknessie, qui s’est nourrie du chant Malhoun dès son très jeune âge, est passionnée elle aussi par cette richesse artistique et culturelle. Elle continue de persévérer dans son chemin de chanteuse et de professeur du Malhoun qu’elle décrit comme étant ‘’la forme la plus noble de l’expression artistique, le symbole de l’identité artistique Marocaine’’.
Longtemps présente dans les seuls milieux maghrébins et juifs originaires d’Afrique du Nord, la musique andalouse et celle du Malhoun sont en passe de sortir de leur cadre communautaire pour s’étendre à d’autres milieux du Machreq et de la Méditerranée.
Le ‘’qanûn’’, le ‘’oud’’ et le ‘’ney’’, instruments privilégiés du Tarab Al-ala, ont aujourd’hui toute leur place à l’Olympia, au Théâtre de la Ville ou encore à la salle de concert de l’Unesco .