Le Pass sanitaire est « le nouveau sésame pour voyager », y compris au Maroc (experte)
Pour Malika Lahnait, avocate au Barreau de Paris, spécialiste du droit du transport aérien et du tourisme, présidente du “Legal College de Challenge Tourisme”, think tank français qui regroupe la majorité des professionnels du tourisme, le Pass sanitaire est « le nouveau sésame pour voyager », y compris au Maroc qui prépare un projet de passeport vaccinal. Quant à rendre légalement possible un tel « pass » obligatoire, la juriste estime que le sujet est complexe et les écueils à éviter sont multiples.
Quelles sont les conditions actuelles pour voyager à l’étranger depuis la France ?
Malika Lahnait: Une stricte limitation des déplacements continue de s’imposer pour ralentir la progression de l’épidémie dans le monde, du fait de la circulation encore très active du virus de COVID-19 et de ses variants, notamment indien.
Des mesures d’assouplissement viennent cependant d’être annoncées par le gouvernement français. Sous réserve que le pays de destination accepte d’accueillir des touristes français, les déplacements à l’intérieur de l’Espace Européen demeurent autorisés. Cependant, le gouvernement français déconseille toujours de quitter le territoire français.
Le passager devra présenter un test PCR négatif de moins de 72h ainsi qu’une déclaration sur l’honneur précisant qu’il ne présente pas de symptôme d’infection au covid-19, et qu’il n’a pas connaissance d’avoir été en contact avec un cas confirmé de covid-19 dans les quatorze jours précédant son voyage.
Qu’en est-il des voyages en dehors de l’espace européen ?
Depuis le 31 janvier 2021, la France interdit les voyages en dehors de l’espace européen, sauf en cas de motif impérieux. Cette interdiction n’a pas été levée.
Une attestation de déplacement dérogatoire mentionnant un motif impérieux est exigée, accompagnée des justificatifs du motif impérieux, outre les documents sanitaires (tests, dérogations, etc.) requis par le pays de destination.
Le 11 mars 2021, cette règle a été assouplie s’agissant de sept pays en raison de leur « situation sanitaire spécifique » indique le ministère des Affaires étrangères. Il s’agit de l’Australie, la Corée du Sud, Israël, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni et Singapour. Il faudra néanmoins là encore se conformer aux exigences du pays de destination (vaccin, test PCR, quarantaine…).
Le voyageur veillera à consulter la fiche pays disponible sur le site Conseils aux Voyageurs du ministère des Affaires Etrangères pour s’enquérir de l’ensemble des conditions à respecter.
L’application TousAntiCovid-Carnet va intégrer un Pass sanitaire. Cette nouvelle fonctionnalité simplifiera-t-elle les voyages à l’étranger ?
L’application TousAntiCovid-Carnet intègre désormais un pass sanitaire qui permettra à son titulaire d’enregistrer le résultat de test PCR ou antigénique et le certificat de vaccination. Cette nouvelle fonctionnalité a pour objectif de faciliter les déplacements vers la Corse, les territoires d’outre-mer puis vers les Etats membres de l’Union européenne dans le cadre du « certificat vert numérique« .
Cette application doit ainsi permettre de vérifier les tests COVID, les certificats de vaccination de manière sécurisée et de fluidifier le parcours des passagers à l’aéroport. Ce sera l’équivalent d’un carnet de santé digital qui contribuera à rétablir la confiance puisque les pays d’accueil auront l’assurance d’accueillir des personnes ne présentant aucun risque sanitaire s’agissant du COVID.
Ce pass sanitaire digital rendra la fraude plus complexe en raison du recours au QR Code à scanner.
D’autres pays européens adoptent une démarche similaire. Les Allemands viennent à leur tour d’annoncer que leur application Corona-Warn (le stopcovid allemand) téléchargé par 27 millions de personnes, allait recevoir une nouvelle fonction permettant d’afficher un certificat de vaccination numérique ainsi que les résultats des tests rapides.
Est-il légalement possible de rendre un tel « pass » obligatoire ?
Le sujet est complexe et les écueils à éviter sont multiples. Le pass sanitaire porte en effet une atteinte grave aux libertés fondamentales puisqu’il pourra conditionner la liberté d’aller et venir. Seules les personnes titulaires de ce fameux sésame pourraient ainsi avoir le droit de se rendre dans tel pays, région, voire salle de concert, stade…Les libertés publiques se retrouvent à l’épreuve de la sécurité sanitaire.
Pour ne pas encourir la censure des juges, il faudra que l’atteinte ainsi portée aux libertés publiques soit strictement nécessaire et proportionnée à l’objectif de santé publique poursuivi par les autorités.
La détention d’un pass sanitaire ne saurait ainsi être exigée pour utiliser les transports publics ou se rendre dans les commerces de première nécessité. Le périmètre d’application de ce pass sanitaire devra être défini avec soin pour éviter tout excès blâmable.
Le Président de la République a déclaré qu’un test négatif, un certificat de vaccination ou une attestation d’immunité seront exigé à compter du 9 juin pour accéder aux « lieux où se brassent les foules« . Mais « il ne saurait être obligatoire pour accéder aux lieux de la vie de tous les jours comme les restaurants, théâtres et cinémas, ou pour aller chez des amis. Cependant, dans des lieux où se brassent les foules, comme les stades, festivals, foires ou expositions, il serait absurde de ne pas l’utiliser. »
Il faut en outre avoir à l’esprit que tout le monde ne dispose pas d’un smartphone. Il est partant impossible que ce pass sanitaire devienne le seul sésame pour pouvoir voyager, se rendre au musée ou au restaurant…sauf à instaurer une discrimination illégitime. La Commission européenne, qui élabore un projet de Pass Digital Vert, a d’ailleurs décidé que ce pass pourra exister en version digitale téléchargeable sur smartphone ou sur un document papier.
Si ce pass sanitaire doit impérativement inclure les données relatives à la vaccination, la discrimination sera de nouveau caractérisée en raison d’une grande inégalité dans le déploiement de la vaccination dans le monde sans compter les personnes qui ne souhaitent pas se faire vacciner ou qui ont des contre-indications.
Il faut dès lors veiller à ce que l’utilisation de ce pass sanitaire soit strictement délimitée et éviter qu’il ne se transforme en arme de traçage sanitaire des individus.
La CNIL devra par ailleurs s’assurer que les données relatives à la santé des utilisateurs ne seront pas stockées sur l’application, mais conservées uniquement sur les smartphones des utilisateurs.
A l’issue de débats houleux, l’Assemblée nationale a voté en seconde délibération, dans la nuit du mardi 11 au mercredi 12 mai 2021, le projet de loi de sortie progressive de l’état d’urgence sanitaire, qui encadre la mise en place du pass sanitaire contre le Covid-19. Le texte a été approuvé par 208 voix contre 85.
Un tel « pass sanitaire » peut-il à terme être créé à l’échelle européenne, voire mondiale ?
Le rétablissement de la libre circulation, en toute sécurité, au sein de l’Union Européenne est en marche à l’approche des vacances d’été.
Au lieu d’un passeport vaccinal jugé trop restrictif, vu le faible taux de vaccination en Europe, la Commission Européenne élabore actuellement une proposition de directive aux fins de créer un Pass digital Vert (green digital pass), valable dans les 27 pays de l’Union Européenne.
Ce « certificat vert », coté d’un QR Code, permettra à son détenteur de justifier d’une vaccination contre le Covid-19 ou d’un test PCR négatif ou, également, d’une immunité à la suite d’une infection. Le certificat proposé par la Commission pourrait être présentable sur papier ou dans un smartphone. La Commission européenne mettra en place un portail afin de garantir que tous les certificats peuvent être vérifiés dans l’ensemble de l’UE.
Que ce soit sur le plan interne ou au niveau européen, ces pass sanitaires posent des problèmes identiques en termes de protection des libertés fondamentales, protection des données des citoyens et absence de discrimination causée par ces pass, la prévention de la fraude. Il appartiendra aux autorités compétentes de s’assurer que le rétablissement progressif de la libre circulation en toute sécurité dans l’UE durant la pandémie de COVID-19 s’effectue dans des conditions équilibrées et non discriminatoires, l’accès à ce certificat vert devant être garanti pour tous les citoyens européens dans les mêmes conditions.
Qu’en est-il du Maroc ?
A l’instar de nombreux autres pays, le Maroc œuvre à la mise en place d’un système permettant d’accueillir les touristes et les ressortissants marocains vivant à l’étranger en toute sécurité et avec le moins de restrictions possible, et ce, sans que la santé publique ne soit mise en danger.
Le Maroc compte réitérer le succès qu’il a connu lors de sa campagne de vaccination, succès qui a été reconnu et salué à l’échelle mondiale.
Le Maroc prépare ainsi un projet de passeport vaccinal, toutes les personnes vaccinées devant faire l’objet d’un enregistrement électronique. Ce passeport sanitaire prendra ainsi la forme d’un certificat de vaccination
Des difficultés demeurent cependant dans la mesure où, à ce stade, l’Union Européenne n’acceptera sur son territoire que les personnes ayant bénéficié d’un vaccin approuvé par l’Agence européenne des médicaments.
Or, le vaccin chinois utilisé au Maroc comme dans bon nombre d’autres pays n’est pas à ce jour autorisé en Europe, tout comme le vaccin Spoutnik.
Les autorités européennes devront dès lors réviser leur position si elles souhaitent accueillir les touristes du monde entier.
Elles devront également assurer la validité et l’interopérabilité du certificat vert numérique au-delà des frontières européennes, le maître mot en la matière étant la réciprocité.