La crise entre Alger et Paris a pris récemment des proportions inédites qui surprennent par leur ampleur. Tant la tendance générale était à l’apaisement et à la réconciliation.
En pleins crise de pouvoir à Alger, contesté par un mouvement social et politique enraciné, le président Emmanuel Macron a tenu à exprimer son soutien au président Abdelmajid Tebboune en donnant du crédit à la période post-Bouteflika. Un soutien si visible et si assumé que Macron s’est attiré les foudres des icônes du Hirak qui reprochaient à la France ses complicités avec les autocrates d’Alger.
D’ailleurs en signe de bonne volonté, Emmanuel Macron a lancé un processus de réconciliation mémorielle avec l’Algérie piloté par l’historien Benjamin Stora. Un processus qui ne prétend nullement régler les problématiques d’une baguette magique mais qui a le don d’ouvrir des chantiers.
Tout allait donc pour le mieux dans une relation d’Etat démocratique français à État dictatorial algérien au nom justement de la raison d’Etat et de leurs intérêts supérieurs. Jusqu’à l’annonce brutale du report sine die de la visite de la délégation française emmenée par le Premier ministre Jean Castex. Une crise béante et inédite est ouverte entre Alger et Paris avec point de craindre le pire.
De nombreux hypothèses ont été évoquées pour justifier cette annulation et cette brusque montée de tension entre l’Algérie et la France. La première fut la déception des Algériens de voir réduire comme une peau de chagrin la délégation ministérielle française comme signe de désintérêt français à cette relation spéciale franco- algérienne.
La seconde fut l’absence de cette délégation française du ministre de l’intérieur français Gérald Darmanin auquel on prête un tropisme pro algérien très prononcé. Les pontes du régime algérien s’apprêtaient à lui demander de prendre des actions de police et de justice contre des opposants algériens très actifs sur les réseaux sociaux et qui par leurs actions démontent régulièrement les fausses trappes d’un régime aux abois.
Mais la vraie raison de cette colère et amertume algérienne à l’égard de Paris vient sans aucun doute de certains signaux qui annoncent une prise de position totalement pro-marocaine dans l’affaire du conflit du Sahara. Récemment en pleine préparation de cette visite de Jean Castex, le parti du président Emmanuel Macron, « La République en Marche » a décidé d’ouvrir une section dans la ville mythique du Dakhla dans le Sahara marocain.
A l’annonce de cette décision inédite, le sang des algériens n’a fait qu’un tour. Ils savent que le parti présidentiel n’aurait jamais pris une telle décision avec autant de portée politique et diplomatique sans le feu vert explicite du président Macron en personne. Les algériens en ont conclu que la diplomatie française se prépare à passer à une vitesse supérieure pour reconnaître la pleine souveraineté du Maroc sur ses provinces sahariennes comme l’avait fait l’administration américaine. Ce qui aurait scellé définitivement à la fois le triomphe diplomatique marocain et le destin de ce conflit entre le Maroc et d’Algérie, vieux de plus de quarante ans.
La France qualifiée par un ministre algérien « d’ennemi traditionnel et éternel » de l’Algérie se retrouve à devoir gérer une crise sans précédent dans sa relation avec ce pays. Elle est actuellement acculée par les algériens à taper sur la table et à clarifier les enjeux de ses relations avec Alger.
Et pourtant ce n’est pas faute d’avoir essayé de faire plaisir, voire d’offrir des cadeaux aux algériens sur de nombreux domaines, de dérouler un tapis rouge qui revient aujourd’hui comme un boomerang. A commencer par ceux qu’elle contrôle sur son territoire. Pour ne pas provoquer le régime algérien, Paris n’a jamais souhaité accélérer les enquêtes visant les biens mal acquis en France par de hauts responsables algériens corrompus. Paris a essayé de faire plaisir au pouvoir en place en favorisant même ses représentants dans la gestion de l’Islam de France. Comme en témoigne l’excessive tolérance que témoigne le ministre de l’intérieur et des cultes Gerald Darmanin à l’égard des caprices d’enfant gâté du recteur de la mosquée de Paris Chems-eddine Hafiz, prêt à tout casser pourvu qu’il soit l’unique interlocuteur et gestionnaire de l’islam de France.
La France était déjà contrainte dans son expression sur l’Algérie au nom d’un passé commun dont les comptes ne sont pas encore soldés. Elle se trouvent aujourd’hui à jouer le rôle de défouloir d’un système algérien qui, pour se perpétuer, a besoin de créer des ennemis extérieurs.
La France et le Maroc ont cela en commun, c’est qu’ils incarnent de parfaits épouvantails que les militaires algériens utilisent pour enfumer le opinions publiques et maintenir leur mainmise sur les leviers du pouvoir politique et économique. Pour sortir de cette ornière, Paris a besoin d’un langage de vérité, de courage et de clarté sur ses choix diplomatiques dans la région qui clôt définitivement la discorde territoriale sur le Sahara.