Camille Kouchner, fille de l’ancien ministre Bernard Kouchner et de l’universitaire Evelyne Pisier, brise le tabou d’un inceste, en révélant, dans un livre à paraître jeudi, un an après l’affaire Matzneff, celui dont a été victime son jumeau.
C’est le politiste Olivier Duhamel, 70 ans, qui se retrouve accusé dans « La Familia grande » (Seuil), titre en espagnol qui reprend le surnom que se donnait une bande d’amis fascinés par la révolution cubaine.
Le procureur de Paris a annoncé mardi l’ouverture d’une enquête pour « viols et agressions sexuelles par personne ayant autorité ».
Tout au long du récit, Camille Kouchner ne donne à cet homme qu’un nom: « mon beau-père ». Elle modifie le prénom de sa victime, son frère, le fils de Bernard Kouchner, âgé de 14 ans quand commencent les faits, pour l’appeler « Victor ».
Olivier Duhamel a démissionné de toutes ses fonctions lundi, dès que Le Monde et L’Obs ont révélé la teneur du livre: président de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), et intervenant ou animateur sur la chaîne LCI et la radio Europe 1.
L’ombre de celui dans lequel l’autrice voit « un mélange de Michel Berger et d’Eddy Mitchell » plane tout au long de ce récit, où il est relativement peu présent.
Une citation de lui dit, à propos des enfants d’Evelyne Pisier: « Vous êtes ma vie, ma nouvelle vie, celle que j’attendais, celle que je voulais. Vous êtes mes enfants, et mieux encore ».
L’inceste lui-même dure peu dans ce témoignage autobiographique, une dizaine de pages sur 200. Il surgit brusquement vers le milieu du livre, quand Victor dit: « Il m’a caressé et puis tu sais… »
« Mon cerveau se ferme. Je ne comprends rien. C’est vrai qu’il est gentil, mon beau-père adoré », raconte l’autrice de 45 ans, dans une confession au style nerveux.
Protéger d’autres enfants
Avant cela, elle expose une adolescence ravagée par le suicide successif de ses deux grands-parents maternels, surtout celui de sa grand-mère en 1988. Cette mort plonge sa mère dans l’alcoolisme, et ce sont deux adolescents sans défense qui se retrouvent l’un victime, l’autre témoin de cet inceste.
Après, le livre évoque la lente propagation du secret, d’abord gardé par « Victor », puis révélé peu à peu pour protéger d’autres enfants qui ne doivent pas se retrouver avec le « beau-père ».
Le dilemme pour Camille Kouchner est de savoir si elle doit outrepasser l’interdiction de son frère de parler. Avec le recul, elle en ressent une forte culpabilité: « En ne désignant pas ce qui arrivait, j’ai participé à l’inceste ».
Olivier Duhamel, si les faits sont avérés, semble avoir été protégé par une forme d’omerta. Elle rappelle fortement celle que décrivait Vanessa Springora, un an auparavant, dans « Le Consentement », sur sa relation avec l’écrivain Gabriel Matzneff, 49 ans, quand elle en avait 14.
« Très vite, le microcosme des gens de pouvoir, Saint-Germain-des-Prés, a été informé. Beaucoup savaient et la plupart ont fait comme si de rien n’était », écrit ainsi Camille Kouchner.
« Je vous confirme »
Evelyne Pisier est aussi accusée de complaisance, étant restée, jusqu’à sa mort en 2017, en couple avec Olivier Duhamel. « Il regrette, tu sais », déclare-t-elle dans le récit.
Quant à Bernard Kouchner, il n’apprend que tardivement, menace de corriger l’agresseur de son fils, et n’en fait rien parce que sa fille l’en dissuade. « Un lourd secret qui pesait sur nous depuis trop longtemps a été heureusement levé », a-t-il affirmé dans un communiqué transmis lundi à l’AFP par son avocate Maryline Lugosi.
La victime, le frère de Camille Kouchner, a seulement écrit au Monde: « Je vous confirme que ce que ma soeur a écrit à propos des agissements d’Olivier Duhamel à mon égard est exact ».
D’autres livres avaient déjà brisé ce tabou de l’inceste.
L’actrice Catherine Allégret, en 2004, juste après le premier procès de l’affaire d’Outreau, avait raconté dans « Un monde à l’envers » les attouchements, enfant, et la tentative de viol, adulte, de son beau-père « abusif » Yves Montand. Le livre est largement oublié, et on avait beaucoup reproché à son autrice d’accuser un mort qui ne pouvait se défendre.
Claude Ponti, auteur de livres jeunesse, avait évoqué sous forme de fiction, dans « Les Pieds bleus » en 1995, les sévices sexuels qu’il avait subis enfant. Il ne nommait pas de coupable mais a désigné ensuite son grand-père.
Enfin Christine Angot avait fait des viols commis par son père le sujet de deux romans très controversés, « L’Inceste » (1999) et « Un amour impossible » (2015).