Tourisme sexuel : quand Frédéric Mitterrand évoquait la « solution Maghreb »
Mauvaise passe pour le ministre de la Culture. L’affaire Strauss-Kahn braque le projecteur sur les mœurs des dirigeants et l’omerta qui recouvre leurs éventuels délits sexuels. Depuis six ans, une confession méconnue de Frédéric Mitterrand à propos de ses relations tarifées en Tunisie est passée sous silence. Flashback.
Plus loin, le critique littéraire renchérissait : « C’est pourtant un chapitre consacré à la Tunisie qui, peut-être, suscite chez le lecteur la plus grande gêne. Frédéric Mitterrand y raconte, en une scène déchirante, comment il emmène vivre avec lui à Paris un garçonnet tunisien, l’arrachant à une mère évidemment consentante mais éplorée. Pour l’éducation de ce "fils adoptif", le ministre se démène sans compter et se prive de vie mondaine. L’enfant, turbulent, lui mène la vie dure, arrachant à Frédéric Mitterrand cette réflexion – où comme toujours la franchise ouvre directement sur l’inconscient : "Je me demandais parfois si je serais capable de me donner tant de mal pour une petite fille. Les garçons touchaient évidemment à quelque chose de plus intime et de plus ambigu – quoique…" ».
Quant au chef de l’Etat, la protection qu’il assure au neveu de l’ancien Président n’a pas été entamée par la lecture de l’ouvrage controversé, bien au contraire- comme l’a expliqué son auteur au Nouvel Observateur : « J’ai parlé avec Nicolas Sarkozy à trois reprises de « la Mauvaise Vie ». La première fois, c’était pendant la campagne présidentielle, lors d’une rencontre informelle, hors de tout enjeu politique direct. Nicolas Sarkozy venait de lire mon livre. Sans céder au narcissisme, je crois pouvoir dire qu’il l’avait beaucoup aimé. J’ai surtout eu le sentiment qu’il l’avait compris. Nous en sommes restés là ». Gratitude en retour : lors du dernier festival de Cannes, le ministre a affirmé qu’il ferait « ce qu’on lui demandera de faire » pour appuyer la candidature et la réélection de Nicolas Sarkozy. Six ans auparavant, Frédéric Mitterrand admettait pourtant n’avoir « aucune sympathie » pour celui qui était alors le dirigeant de l’UMP. La convoitise d’un maroquin rend probablement les êtres aimables.
Les yeux fermés de Ben Ali
Depuis la parution de son ouvrage en 2005, et notamment depuis sa nomination à la Culture quatre ans plus tard, Frédéric Mitterrand n’a jamais eu à s’expliquer sur les passages consacrés à la Tunisie et sur ce qu’il nomme lui-même la « solution Maghreb », à savoir l’exploitation sexuelle de la misère locale. Alors qu’une nouvelle affaire de mœurs – à propos d’un ancien ministre s’adonnant à la pédophilie au Maroc- provoque actuellement un vif débat au sein de la classe politique, une autre révélation est passée totalement sous silence. C’était le 17 février sur l’antenne d’Europe 1 : interrogé sur les conséquences de la révolution tunisienne, l’ex-journaliste Jean-François Kahn a lâché brutalement un propos détonnant qui n’a pas été relevé par la presse écrite et audiovisuelle : « Il y a encore six jours, monsieur Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture -la Culture !- disait « Ce n’est pas une dictature » ! Et quand on sait quelles sont les activités auxquelles se livrait monsieur Mitterrand en Tunisie, il aurait dû se taire ! C’est ignoble, c’est une abjection, l’attitude de monsieur Mitterrand ».
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Quelles sont précisément ces « activités » innommables auxquelles fait référence Jean-François Kahn ? Mystère. Dira-t-on par la suite, comme pour l’affaire Strauss-Kahn, que beaucoup, dans le microcosme parisien, ont « su » mais ont préféré se taire ? Probablement. Contrairement à la confidence déguisée de Luc Ferry au sujet d’une personnalité politique ayant commis des actes délictueux au Maroc, l’allusion quasi-diffamatoire d’un initié comme Jean-François Kahn n’a pas fait de bruit depuis trois mois. Une omerta tranquille, en quelque sorte.
Frédéric Mitterrand est décidément né sous une bonne étoile : couvert par Ben Ali, soutenu par Sarkozy et épargné par un microcosme médiatique qu’il finance en partie par les aides à la presse, cet homme de réseaux peut s’enorgueillir d’avoir réussi à conquérir la place d’un notable influent tout en ayant confessé la vie d’un crypto-touriste sexuel qui a fait fi des conventions. Dans n’importe quelle démocratie scandinave ou anglo-saxonne, un tel grand écart aurait été inimaginable. En France –nation qui se flatte d’avoir « aboli les privilèges » en 1789, ce traitement de faveur est possible. Cherchez l’erreur.