Si la consécration des islamistes fait partie des nouveautés du printemps, elle n’est ni la plus réjouissante, ni la seule.

Je vous invite à vous arrêter sur deux petits événements à la fois étonnants, contradictoires et a priori déconnectés l’un de l’autre : un film marocain vient d’être interdit par le public…et une jeune femme égyptienne a défié la censure en posant nue sur son blog.

Allons-y. Deux hommes et une femme à Casablanca : cela fait trois personnes auxquelles il arrive, comme dans la vraie vie, de dire des grossièretés, de prendre de l’alcool ou de faire l’amour. Transposés au cinéma, ces éléments constituent le canevas d’un film (qui s’appelle “Un Film”, justement), commercialisé depuis le 2 novembre et que vous risquez de ne jamais voir.

Pourquoi ? Eh bien, aussi ahurissant que cela puisse paraître, “un Film” a été
retiré de plusieurs salles de cinéma…suite aux protestations de certains spectateurs, trop mécontents des audaces du film. Au Maroc, c’est du jamais vu. Ou comment une minorité liberticide se substitue à l’Etat-policier pour interdire à la majorité d’aller voir une œuvre de cinéma. Incroyable.

Au moment où ces lignes sont écrites, personne n’a bougé le petit doigt pour défendre le film. Ceux qui haussent les épaules, indifférents au sort d’un petit produit marocain interdit par le public, sont pourtant dans l’erreur. D’autres films, des écrits, des textes de chanson, des livres, risquent de subir le même sort et c’est la liberté, non seulement de créer, mais aussi de consommer, qui est menacée. Cela ne concerne pas que les artistes mais tous les Marocains.

C’est une nouvelle pierre qui vient d’être lancée dans le jardin des démocrates et des progressistes marocains. Il y aura d’autres attaques et il faut espérer que le camp moderniste, à un moment ou un autre, finira par réagir. Si ce camp auquel nous appartenons n’a pas bronché, c’est qu’il n’est pas organisé et il ne le sera pas de sitôt. Autant alors commencer par le plus simple : donner de la voix. En ces moments où le conservatisme monte de toutes parts, il devient vital de mettre en avant des gestes de rupture, aussi improbables soient-ils. C’est cette logique qui nous conduit, cette semaine, à mettre en relief et à donner du sens à l’audace d’une jeune blogueuse égyptienne, qui offre littéralement son corps de 20 ans à la révolution (lire l’article de Abdellah Taïa p 42 et consulter le blog http://arebelsdiary.blogspot. com/2011/10/nude-art.html?zx=2d9166ad6825ba22).

La jeune femme nous dit : “Cachez les livres d’art, cassez les statues de nu dans les musées, enlevez vos vêtements, regardez-vous dans le miroir, brûlez vos corps que vous méprisez pour vous débarrasser de vos frustrations sexuelles, faites tout cela avant de m’insulter, de m’envoyer vos commentaires racistes et de me dénier le droit de m’exprimer librement.”
Ne condamnons pas, arrêtons-nous sur le discours fort, très fort, de la jeune blogueuse, réfléchissons à la portée de ce geste sans précédent dans le monde arabe. C’est par la marge et par des actes de rupture qu’une société peut aller de l’avant. Comprendre l’importance de ces actes et en protéger les auteurs, voilà notre devoir et nous avons bien l’intention de l’accomplir.

Il est peut-être utile de rappeler que nous sommes quand même en plein Printemps arabe, en pleine “révolution”. Et le printemps, c’est cela aussi : beaucoup de désordre, des éléments contradictoires, une certaine accumulation qu’il s’agit déjà de relier et d’organiser. Je crois et j’espère qu’il y aura de la place pour beaucoup de choses nouvelles. Si la consécration des islamistes fait partie de ces nouveautés, elle n’est ni la plus réjouissante ni la seule. Le printemps est la saison de tous les possibles, alors profitons-en pour nous affranchir, créer, oser, innover… et soutenir ceux qui ont l’audace de le faire.

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