Au sous-sol de l’hôtel barcelonais servant de local à sa liste "Ensemble pour la Catalogne", ses partisans ont de nouveau scandé des "Puigdemont, président !", peu avant minuit, en apprenant que les trois listes indépendantistes – de droite, gauche et extrême gauche – rassemblaient 70 des 135 sièges, même s’ils ne réunissaient que 47,5 % des voix.
"Avec ce résultat, le message à l’Espagne est: asseyez-vous pour parler. Et le message à l’Europe: ouvre les yeux, réagis !", assure Francesc Portella, 50 ans, sympathisant travaillant dans le marketing.
"L’Etat espagnol a lutté sur terre, sur mer et dans les airs pour détruire l’indépendantisme mais le peuple catalan est absolument plus fort et pacifique que l’Espagne avec ses matraques", assène-t-il, en référence aux violences policières ayant émaillé le référendum interdit du 1er octobre.
Un adolescent crie "liberté" avec plus d’émotion que les autres: Oriol Sanchez, 19 ans, dont le père Jordi est emprisonné pour "sédition" en tant que président de l’association indépendantiste l’ANC ayant organisé les immenses manifestations indépendantistes des dernières années et activement participé au processus sécessionniste.
"Il est en prison pour ses idéaux. Je suis très fier de lui et du pays (la Catalogne)", assure le garçon.
Le 27 octobre, les indépendantistes ont proclamé une République catalane restée sans aucun effet. Aussitôt, la région a été placée sous le contrôle direct de Madrid, son gouvernement destitué, son parlement dissous.
A présent, un Puigdemont au ton vengeur jubile par vidéo-conférence: "La République catalane a gagné face à la monarchie du 155", en référence à l’article de la Constitution que le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy a étrenné pour placer la région sous tutelle.
Jeudi, à un dîner de Noël de son parti, M. Rajoy avait lancé en guise d’avertissement: "les gouvernants (régionaux) savent désormais ce qui se passe quand ils font ce qu’on ne peut pas faire".
Mais son Parti populaire (PP) – qui se vantait d’avoir "décapité" l’indépendantisme catalan – n’obtient que 4,24 % des voix dans la région.
Et un candidat de la formation de Puigdemont, Eduard Pujol, lance à son attention: "M. Rajoy, le 155 est définitivement mort et enterré !"
Visage grave, l’électrice indépendantiste Montserrat Grane, fonctionnaire de la région de 60 ans, reste pessimiste car pour elle, "le PP ne négociera jamais: il ne comprend pas la négociation, seulement la reddition".
Reste à savoir si M. Puigdemont peut réellement retrouver son siège de président de la Catalogne aux 7,5 millions d’habitants, alors qu’il risque d’être arrêté pour "rébellion" et "sédition" dès qu’il foulera le sol espagnol.
Le vice-président catalan destitué, l’indépendantiste de gauche Oriol Junqueras, a lui fêté jeudi son quatrième anniversaire de mariage depuis la prison où il est détenu depuis le 2 novembre.
Et sa liste a fini troisième, avec 32 sièges. La déception est palpable chez ses partisans, tel Fran Robles, médecin de 26 ans, qui parle d’"une sensation étrange": "Nous (les indépendantistes) gagnons en députés mais pas en voix" et "finalement, c’est une situation qui reflète la réalité: la Catalogne est divisée politiquement".
Vainqueurs mais pas premiers
Beaucoup d’électeurs catalans avouaient par ailleurs, durant la campagne, ne pas être des indépendantistes forcenés mais voter pour les sécessionnistes par allergie aux politiques de la droite espagnole depuis 2011.
Les indépendantistes devront en tout cas respecter les 52 % de Catalans qui, décidément, ne partagent pas leur rêve.
Et, en réalité, le premier parti en voix (25,3 %) et sièges (37) est pour la toute première fois le libéral Ciudadanos, fondé en 2006 en Catalogne pour contrer l’indépendantisme.
Un triomphe pour sa candidate de 36 ans, Inès Arrimadas, qui se félicite d’avoir gagné dans "les dix villes les plus peuplées" de la région. "Les partis nationalistes ne pourront plus jamais parler au nom de toute la Catalogne", a-t-elle dit, forte d’1,1 million de voix.
Mais la fête "orange" – couleur de son parti – est amère près de la place d’Espagne: "On en est au même point qu’avant", regrette un électeur de Ciudadanos, Lino Navio, 75 ans, et sa femme, Conchita Garcia, d’insister: "nous sommes Espagnols et voulons le rester". (afp)