« Nous avons perdu une dizaine d’adolescents dans cet enfer », crie Alfa Hamadou, un habitant de Gadbo, un des trois villages de l’Anzourou, dans l’ouest du Niger où 20 personnes ont été massacrées le 8 mai lors d’une triple attaque d’hommes armés.
Au milieu des caquètements de poules et des bêlements de moutons, des femmes présentent leurs condoléances à Zalika Issa, dont le neveu a été abattu devant la foule près du puits du village.
« J’ai envoyé mon neveu chercher de l’eau, mais ces bandits l’ont fait coucher sur le ventre avec deux autres enfants et lui ont tiré plusieurs balles dans la tête », explique Zalika Issa, écrasant des larmes avec un voile gris.
Safi Ali, une septuagénaire, a vécu un épisode du massacre à travers sa fenêtre : « Ils étaient venus à bord de motos et les bruits des motos c’était comme des moteurs de gros avions. Ils se sont divisés en groupes, puis ont encerclé le village. Le premier groupe est passé du côté sud où ils ont croisé l’infirmier et deux autres personnes qu’ils ont abattus ».
Selon les témoignages, les assaillants venus sur « 13 à 20 motos », se sont ensuite dirigé à Zibane Koira-Tégui, autre village distant de deux kilomètres, où ils ont « froidement abattu trois hommes ».
« Jamais je n’ai eu aussi peur »
Caché par l’ombre d’arbres géants au bout d’une piste sablonneuse, Zibane-Koira Zéno, le troisième village ciblé, a payé le plus lourd tribut.
« Dès leur arrivée, dans un bruit assourdissant de motos, ils se sont mis à tirer sur tout ce qui bougeait, ils ont traqué les victimes jusque sous leur lit », raconte Moussa Dano, un habitant qui a perdu un proche.
Parmi les assaillants il y a en a « qui criaient +ne touchez pas aux femmes+ », souligne-t-il. « Ils étaient presque tous vêtus en haillons et il était difficile de les identifier à cause des turbans qui cachaient leur visage, on voyait juste le bout de leur nez », décrit Safi Ali.
« Jamais je n’ai eu aussi peur », avoue Fati, sa voisine.
Avant de se retirer en direction du Mali voisin, les hommes armés ont emporté de nombreuses têtes de bétail.
Quelques jours avant les attaques, des hommes armés à moto ont « saboté » les antennes relais des sociétés de téléphones cellulaires, a confié à l’AFP une source sécuritaire.
« Après ces attaques, de nombreux villageois ont fui en brousse et certains ne sont pas encore revenus », selon un élu local.
« Nous avons peur, ils ne sont pas loin, ils se cachent dans des grottes, dans les buissons et peuvent resurgir à tout moment », s’inquiète Safi Ali.
Accalmie de courte durée
Un détachement de l’armée à été dépêché pour assurer la sécurité du secteur. Le gouvernement a également promis une assistance en vivres.
En visite mardi dans les villages touchés, le ministre de l’Intérieur Bazoum Mohamed a dénoncé « la cruauté des terroristes » et annoncé « l’implantation » d’un « dispositif (militaire) permanent ». Selon le ministre, cette zone « vide » avec ses « vallées très boisées » qui s’étendent « jusqu’à la frontière du Mali » est « très favorable aux terroristes ».
L’Anzourou, composée de 24 villages, fait partie l’immense et instable région de Tillabéri (100.000 km2), riveraine de la zone des trois frontières (Niger, Burkina Faso et Mali), un des repaires des jihadistes.
Trois attaques majeures contre l’armée, revendiquées par le groupe Etat islamique, ont été perpétrées dans cette région depuis décembre 2019, dans lesquelles ont péri 174 soldats, selon un bilan officiel : 14 morts à Sanam le 24 décembre, 89 morts le 8 janvier à Chinégodar et 71 morts le 10 décembre à Inates.
D’autres affrontements meurtriers de moindre ampleur ont eu lieu depuis.
Pour endiguer la violence, les autorités ont fermé des marchés, interdit la circulation des motos et décrété l’état d’urgence depuis 2017.
En mars, les armées malienne, nigérienne et la force française Barkhane avaient mené une opération d’une envergure inédite aux confins du Mali et du Niger, qui a mobilisé 5.000 hommes et permis d’éliminer « un grand nombre de terroristes », selon l’état-major français.
« Nous étions en train de savourer l’accalmie lorsque les nouvelles attaques sont survenues », se lamente un responsable municipal.
Pour étendre leur influence dans la région de Tillabéri, les groupes jihadistes prélèvent un « impôt » tout en multipliant les rapts, les razzias et les assassinats ciblés, surtout d’influents chefs traditionnels. Dans des zones reculées, ils implantent leur drapeau noir et obligent les habitants à écouter leurs prêches nocturnes.
Des milliers d’habitants ont déjà déserté leur villages, selon l’ONU. Une parte de cette zone est aussi privée d’administration: récemment plusieurs maires se sont réfugiés à Tillabéri, la grande ville, de peur d’être tués par les jihadistes.
Les violences jihadistes, souvent entremêlées à des conflits intercommunautaires, ont fait quelque 4.000 morts en 2019 au Burkina Faso, au Mali et au Niger, selon l’ONU.