Merah au Pakistan: un « loup » pas « solitaire » au parcours flou et laborieux

Loin du "loup solitaire" évoqué en France après qu’il y a abattu sept personnes l’an dernier, Mohammed Merah a bénéficié en 2011 au Pakistan de complicités encore peu connues qui l’ont rapproché d’Al-Qaïda. Mais ce voyage fut au final laborieux et lui servit plus d’inspiration pour ses meurtres que de véritable formation terroriste.

Merah pose le pied au Pakistan le 20 août 2011 à Lahore (est), capitale du Pendjab, à l’arrivée d’un discret vol en provenance d’Oman. Il en repartira vers la France le 18 octobre.

En deux mois il aura atteint son but: aller se frotter aux "frères" d’Al-Qaïda et des talibans à Miranshah, leur bastion principal niché dans les zones tribales du nord-ouest bordant l’Afghanistan.

Cinq mois après ce séjour, il assassinera sept personnes en France au nom d’Al-Qaïda, dupant les services de renseignements intérieurs français (DCRI), qui le suivaient et à qui il avait raconté à son retour être allé au Pakistan "trouver une épouse" et en avoir profité pour faire du tourisme.

Embarrassé par ces ratés, le gouvernement français de l’époque évoqua "un individu isolé" à ranger dans la catégorie des "loups solitaires".

Un an après, plus personne ne défend cette thèse à Islamabad, jugeant impossible de se rendre seul et aussi vite à Miranshah, nid d’espions sous tension permanente face à la menace des tirs de drones américains.

"Merah avait déjà des contacts à son arrivée", estiment en choeur nombre d’experts occidentaux et pakistanais du dossier. "Au minimum des contacts locaux glanés via internet", abonde un bon connaisseur des réseaux jihadistes locaux.

Dans une note rédigée après la mort de Merah, les services de renseignement extérieurs français (DGSE) notent qu’un Français, qui pourrait bien être lui, "a été accueilli" à son arrivée au Pakistan l’année précédente.

Seuls les noms de deux groupes, des seconds ou troisième couteaux dans l’univers jihadiste pakistanais, ont été évoqués au sujet de Merah depuis un an: le Harkat-ul-Mujahideen (HuM) et le Jund al-Khilafah (Armée du Califat).

Le premier, qui aurait été en contact avec Merah selon la note de la DGSE, est au groupe capable de le faire passer dans les zones tribales par des chemins de traverse contournant les barrages des autorités.

Arrivé à Miranshah via Islamabad, Merah serait resté deux semaines dans la région, dans des conditions difficiles, confiné dans des maisons par crainte des tirs de drones. "Je n’avais pas le droit de sortir", dira Merah lors du siège de son appartement, suggérant qu’il fut traité comme de la piétaille.

Merah ajoutera y avoir été "entraîné par les talibans pakistanais" en se vantant d’avoir "gagné leur confiance".

Mais il avouera également que sa formation sur place, limitée aux armes de poing, ne dura "même pas une demi-journée", alors qu’elle dure habituellement au moins deux semaines pour tout apprenti jihadiste. Merah quittera les zones tribales à la mi-septembre, peut-être à cause du début d’hépatite qui le gagne.

Après sa mort, seul un groupuscule peu connu, le Jund al-Khilafah (L’armée du Califat), affirmera l’avoir rencontré dans les zones tribales et s’attribuera la paternité de ses meurtres en France. Une déclaration reçue avec scepticisme cô té français, même si certains détails mentionnés semblent accréditer des contacts de visu.

"Certains, cô té français, ont peut-être habillé un peu vite Merah comme un terroriste professionnel. C’était une thèse plus séduisante que d’avouer qu’un psychopathe aventurier lié à quelques réseaux a réussi à berner l’appareil d’Etat", note une source proche du dossier à Paris.

Les nombreux mystères, dont la source de l’argent qui a permis à Merah de faire ces coûteux voyages, ne permettent à ce stade d’écarter aucune option, y compris celle, évoquée par des proches de ses victimes, que Merah ait été un "indic" ou un "agent" qui aurait échappé au renseignement français.

Ni Paris ni Islamabad, embarrassés, n’ont jusqu’ici semblé pressés de clarifier les choses.

Selon des sources locales, le Pakistan, renvoyé une fois de plus à son image de foyer du terrorisme, n’a pas du tout apprécié d’être mis en cause par certains responsables français dans cette affaire, et s’est muré dans le silence.

Et en France, "la guerre des services" se renvoyant la responsabilité de l’échec du suivi de Merah "n’arrange rien", explique un cadre ministériel.

Fin février, près d’un an après les meurtres, la justice française a annoncé des enquêtes sur l’itinéraire international de Mohammed Merah.

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