De l’autre côté de la ville à Hay Dokkarat, un quartier pauvre, Fatima, une jeune institutrice voilée surprend son interlocuteur avec sa gouaille et son phrasé de jeune militante aguerrie. Elle avoue que c’est la première fois qu’elle s’intéresse à la politique au Maroc."L’internet et les chaînes satellitaires sont beaucoup dans l’intérêt que les jeunes de ma génération portent à la politique », dit -elle avec une brusque gravité quand on lui pose la question de savoir ce qui motive son implication. Et puis ajoute-t-elle avec malice, "Le temps est venu de faire de vrais choix, d’avoir une solide représentation nationale ».
Fatima refuse pour autant de dire pour quel candidat elle votera le 25 novembre. Elle affirme simplement que sa tenue vestimentaire, le fruit d’abord d’une éducation pudique, ne préfigure en rien son choix électoral.
Au milieu de la ville bouillonnante, Hamid, chauffeur de taxi, le visage buriné par le temps et les dents jaunis par une consommation excessive du tabac et du café, lance avec le culot de ceux qui ont l’intimité facile, "Ecoute mon frère, la différence entre hier et aujourd’hui est qu’on avait l’impression que tous ceux qui s’occupaient de la politique étaient pourris et corrompus. Aujourd’hui les choses changent… Espérons que c’est pour le mieux".
Autant de profils rencontrés la veille d’une échéance électorale cruciale pour la consolidation des acquis démocratiques dans une société qui semble avoir anticipé de manière intelligente les césures.
Alors que l’ensemble du pays s’apprête à vivre une grande mue électorale, que la question du taux de participation est sur toutes le lèvres, que la surmédiatisation d’une supposée percée des islamistes dit « modérés » à l’instar du parti tunisien Annahda, hante les esprits, il est un élément incroyablement nouveau qui marque la préparation de ce scrutin, l’intrusion des jeunes dans le champs politique. Un facteur en soi capable de déjouer tous les pronostics de démentir tous les oracles.
Implication des jeunes
Les jeunes d’abord comme acteurs de la vie politique, la presse marocaine regorge de portraits flatteurs et surprenants de tous ces jeunes qui ont osé croire en leur bonne étoile et se sont jetés dans le bain de la députation avec détermination et confiance. Une terrain de jeu politique jusque là interdit d’accès à ses nombreux talents qui piaffent d’impatience quand ce n’est pas de frustration et d’amertume. Le rajeunissement de la classe politique est à l’œuvre quelque soit le résultat final du scrutin. Nombreux sont les témoignages qui expliquent la désaffection des jeunes à l’égard de la chose politique par une calcification trop voyante du personnel, par un monopole quasi filiale de la représentation politique. La profession de député ou de ministre tournait dans la même galaxie, suivait les mêmes filières de production des élites.
Les jeunes ensuite comme force de mobilisation. Dans le passé, les différents scrutins ont souffert d’un taux d’abstention presque record, parce que l’élite politique du moment était dans l’incapacité de séduire et de donner envie aux jeunes du Maroc de se diriger vers les urnes. Aujourd’hui, printemps arabe oblige, dont les souffles braisés ont éveillé les espoirs de la jeunesse arabe, il y a de fortes chances que les jeunes marocains retrouvent les chemins des urnes.
Quelque soit le comportement que la jeunesse marocaine va adopter pendant ce scrutin, elle va en configurer durablement la portée. Qu’elle le boude et les tentations de rupture, de changement et de réforme retomberont comme des épées dans l’eau, pavant la route aux tentations extrémistes. Qu’elle investisse massivement les urnes et les pulsions démocratiques marocaines s’en trouvent sainement régénérées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard de communication ou une lubie de créateur d’ambiance si la totalité des spots destinés à célébrer cette bataille électorale magnifie l’implication des jeunes dans ces élections.