Le Gouvernement d’union nationale (GNA) basé à Tripoli a dénoncé un énième « coup d’Etat » du maréchal Khalifa Haftar, au lendemain de la proclamation par l’homme fort de l’est qu’il disposait d’un « mandat du peuple » pour gouverner seul ce pays en proie au chaos.
Accusé par ses détracteurs de vouloir instaurer une nouvelle dictature militaire en Libye, près d’une décennie après la chute du régime de Mouammar Kadhafi, le maréchal Haftar, qui contrôle l’est mais aussi une partie du sud, a annoncé lundi soir le transfert du pouvoir à son autoproclamée armée, disant « accepté la volonté du peuple et son mandat ».
M. Haftar, qui tient sa légitimité d’un parlement élu basé aussi dans l’est, n’a pas précisé auprès de quelle institution il avait reçu « mandat ». Il n’a pas non plus expliqué les implications politiques de son annonce: le parlement et le gouvernement parallèle dont il est issu vont-ils être dissous ? Selon une source proche du dirigeant libyen, il s’apprête, pour le moins, à annoncer un nouveau gouvernement.
Lundi soir, le maréchal Haftar a également annoncé « la fin de l’accord de Skhirat », signé en 2015 au Maroc sous l’égide de l’ONU et dont est issu le GNA, basé à Tripoli, dans le nord-ouest du pays.
« Signe de désespoir »
En réaction aux propos du haut-gradé, le GNA de Fayez al-Sarraj a dénoncé une « farce et un nouveau coup d’Etat », « qui s’ajoute à une longue série ».
En 2017, M. Haftar avait déjà assuré que l’accord de Skhirat avait « expiré ». En 2014, il avait affirmé dans un discours à la télévision qu’il allait prendre le pouvoir, mais son annonce était restée sans suite.
M. Haftar, qui tente depuis un an de s’emparer militairement de Tripoli, veut par son annonce « dissimuler la défaite de ses milices et mercenaires » et « l’échec de son projet dictatorial », a argué le GNA, en allusion aux récents revers des pro-Haftar.
« La décision de Haftar d’officialiser son contrôle direct sur l’est (…) est un signe de son désespoir croissant face aux succès du GNA dans l’ouest », juge aussi Hamish Kinnear, analyste pour la société de conseils Verisk Maplecroft.
Forts du soutien turc, les forces du GNA ont repris il y a deux semaines aux pro-Haftar deux villes stratégiques de l’ouest et cernent Tarhouna, la plus importante base arrière du maréchal, à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de Tripoli.
« Nous n’approuvons pas »
Au fil des mois, les ingérences armées étrangères ont exacerbé le conflit libyen, avec les Emirats arabes unis et la Russie dans le camp Haftar, et de l’autre la Turquie et son aide croissante au GNA.
Washington et l’Union européenne ont aussi condamné, les Etats-Unis regrettant la « suggestion » de M. Haftar, encore qualifiée de démarche « unilatérale ».
La cheffe par intérim de la mission de l’ONU (Manul), Stephanie Williams, n’a fait aucun commentaire, mais elle devait s’entretenir par téléphone avec le président du parlement dans l’Est, Aguila Salah, pour traiter d’une relance du processus politique.
A l’image du pays, le pouvoir législatif est divisé entre une institution pro-Haftar, à Tobrouk (est), et un autre hémicycle qui lui est hostile à Tripoli.
Dans sa condamnation de la démarche du maréchal, le GNA a relevé que l’homme fort de l’est s’était « retourné contre les instances politiques parallèles qui le soutenaient et l’ont désigné » chef de l’armée, invitant les députés concernés à « rejoindre leurs collègues » de la capitale.
Mais, selon Jalel Harchaoui, de l’Institut Clingendael à La Haye, si Khalifa Haftar exige maintenant que l’Assemblée « se soumette entièrement à l’armée », « il est peu probable qu’une dissidence se manifeste contre le coup de Haftar ». Le président du parlement pourra aussi « difficilement tenir tête ouvertement au maréchal ».
Par cette annonce d’une prise de pouvoir par le peuple, Haftar veut s’imposer comme le seul interlocuteur dans l’est et évincer tout acteur favorable au dialogue, comme M. Salah, ajoute Emad Badi, expert à l’Atlantic Council.