Peut-être n’ont-ils pas tort mais le fait est que, pour l’heure, la droite israélienne considère que rien n’est plus urgent que de ne pas bouger. Le temps est moins que jamais aux compromis, considère-t-elle, puisque le printemps arabe peut amener les islamistes au pouvoir dans beaucoup de capitales, que cela interdit de baisser la garde en faisant des concessions territoriales et que les pays arabes, surtout, vivent une telle implosion qu’ils ne pourront pas s’unir contre Israël avant longtemps et qu’il n’y a donc pas de vraie menace à parer.
Tout n’est pas faux dans ce raisonnement qui n’en est pas moins suicidaire. Autant il est vrai que les divisions du monde arabe sont plus patentes que jamais, que les élections égyptiennes et tunisiennes peuvent rapprocher les islamistes du pouvoir et qu’une chute du régime syrien pourrait également leur profiter, autant le temps joue désormais, et de plus en plus vite, contre Israël.
A court terme, le succès des manifestations pacifiques de l’avenue Bourguiba et de la place Tahrir a d’ores et déjà donné de nouvelles idées aux Palestiniens. Beaucoup d’entre eux envisagent, pour octobre, des marches non-violentes, avec femmes et enfants, contre les points de contrôle des Territoires occupés ou les frontières même d’Israël. L’état-major israélien s’y prépare mais, panique ou provocation, le plus petit incident peut dégénérer et les Israéliens n’auraient alors plus le choix qu’entre se laisser déborder ou tirer, comme l’armée syrienne, sur des civils désarmés réclamant le respect de leurs droits.
Dans un cas comme dans l’autre, le dommage serait incommensurable pour Israël et ce scénario est d’autant plus envisageable que la reconnaissance de la Palestine par L’ONU, la persistance du blocage des négociations et, a fortiori, les deux donneraient de solides bases juridiques ou, au moins, morales à une telle «intifada pacifique». Au détriment d’Israël, le printemps arabe a déjà modifié les paramètres de ce conflit et ce sera toujours plus évident à moyen et long terme.
Sous deux décennies, trois au plus, après de rapides avancées et d’inévitables reculs, la génération qui est descendue dans la rue de Rabat à Sanaa aura partout pris le pouvoir. Elle sera aux commandes parce que la démographie est pour elle, qu’elle représente dès aujourd’hui la moitié de la population arabe et que son ascension politique a été permise par une double obsolescence, celle des régimes dictatoriaux issus de la décolonisation et celle des courants djihadistes dont la violence n’a rien apporté à ces sociétés. Les pages se tournent, ce passé est révolu. Dans le sang, l’espoir et les larmes, le monde arabe a entrepris d’entrer dans la modernité en bâtissant sa démocratie et ce tournant historique aura trois conséquences.
La première est que le Maghreb et le Machrek vont bientôt constituer de précieux marchés pour l’Europe et l’Amérique qui ne pourront pas longtemps les ignorer au profit de l’inconditionnalité du soutien à Israël.
La deuxième est que les mouvements islamistes vont vouloir accompagner cette évolution socio-économique et consolider leurs électorats en acceptant la démocratie et se transformant, comme l’AKP turque, en partis «islamo-conservateurs».
La troisième est que la position diplomatique d’Israël en sera d’autant plus affaiblie que les sociétés arabes, islamistes compris, ne contesteront plus son existence mais exigeront de lui qu’il respecte le droit international et les résolutions de L’ONU.
C’est déjà l’attitude de la Turquie et des nouvelles autorités égyptiennes qui, sans rompre leurs relations avec Israël, ont considérablement haussé le ton contre son gouvernement. Israël ne pourra bientôt plus compter ni sur sa connivence secrète avec les régimes arabes ni sur un total soutien des Occidentaux. La roue tourne. Elle entraînera vite les Arabes israéliens dans la contestation et, s’il ne bouge pas là – maintenant – Israël devra faire, demain, des concessions qui le fragiliseront autrement plus que celles qui lui permettraient, aujourd’hui, d’assurer sa pérennité. Le problème est que la droite israélienne et son Premier ministre paraissent toujours trop myopes pour voir à vingt ans.
Par Bernard Guetta
Libération