Pour la droite, on est français et rien d’autre

«Libération» dévoile un rapport inspiré par la frange la plus radicale de l’UMP visant à limiter au maximum les cas de double nationalité. Un avant-goût des thèmes de 2012 ?

Pour la droite, on est français et rien d’autre
La chasse aux binationaux est ouverte. Le projet de rapport de la mission d’information sur le droit de la nationalité en France, que Libération s’est procuré en exclusivité, prévoit ainsi d’«exiger» des personnes nées en France de parents étrangers nés à l’étranger «qu’elles choisissent entre la nationalité française et leur(s) nationalité(s) étrangère(s)» lors de leur demande de naturalisation. Autre préconisation formulée en des termes tout aussi martiaux : «Subordonner l’acquisition de la nationalité française [par mariage ou naturalisation, ndlr] à la renonciation expresse du déclarant ou du candidat à sa ou ses nationalité(s) étrangère(s).» A priori, ceux qui ont hérité leur double nationalité à la naissance ne sont pas dans le viseur, mais, pour ceux-là, le rapport envisage «l’obligation de déclarer les appartenances nationales multiples». L’auteur de ce rapport n’est pas n’importe qui. Il s’agit de Claude Goasguen, le très à droite député UMP de Paris, rapporteur de la mission.

Pour l’heure, il ne s’agit que d’un projet. Les députés concernés doivent se réunir une deuxième et dernière fois aujourd’hui. Le rapport sera communiqué mercredi 29 juin à la commission des lois de l’Assemblée nationale. Donnera-t-il lieu à un projet de loi ? Manuel Valls, le président de la mission, ne l’espère pas, pour qui ce document servira plutôt à nourrir le débat avant la présidentielle de 2012.

«Pas de travail commun». La création de la mission d’information de l’Assemblée nationale sur le droit de la nationalité en France découle du discours de Nicolas Sarkozy à Grenoble, le 30 juillet 2010. Le chef de l’Etat avait alors souhaité que soit réformée la législation afin que «toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de la gendarmerie ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique» puisse être déchue de la nationalité française ; et que«l’acquisition de la nationalité française par un mineur délinquant au moment de sa majorité ne soit plus automatique». La loi sur l’immigration (adoptée en mars) reprenait ces dispositions. Mais Nicolas Sarkozy a finalement décidé d’en renvoyer la mise en musique à une mission présidée par un «sage».

La mission sur le droit de la nationalité a donc vu le jour le 12 octobre 2010. Malgré la volonté affichée de la droite de remettre en cause la nationalité française des étrangers, le député-maire PS d’Evry (Essonne), Manuel Valls a accepté de la présider, pour «faire œuvre utile sur des sujets qui peuvent et doivent être traités sereinement», déclare-t-il alors à Libération. Mais d’après les socialistes, les parlementaires de la majorité ont séché la quasi-totalité des auditions. Le PS n’a pas été associé à la rédaction du rapport. «Il n’y a pas eu de travail commun. C’est l’œuvre de Claude Goasguen, et de lui tout seul», affirme Manuel Valls. Hier, le député-maire d’Evry affirmait qu’en l’état actuel de ce document, la gauche voterait contre en commission des lois. Car la tonalité du rapport, développée sur pas moins de 197 pages, est catastrophiste : la «nationalité française est vidée de sa substance dans un contexte mondialisé». «Le "roman national" est à bout de souffle.» Dans le même temps, Claude Goasguen observe un «développement inédit de la plurinationalité». «Un phénomène connaissant un accroissement certes imperceptible mais réel», poursuit-il. Une situation, selon lui, «vecteur potentiel de conflits d’allégeance et d’intérêts». Toutefois, comme le relève Patrick Weil (lire page 4), le député UMP de Paris ne s’interroge pas sur la fidélité à la Nation des Français choisissant une autre nationalité. Mais s’inquiète exclusivement de celle des étrangers souhaitant devenir Français.

Décourager. Manuel Valls ne conteste pas le constat : «Il y a incontestablement un affaiblissement du sentiment d’appartenance à la Nation.» Mais pour lui, Goasguen passe «à côté de la question fondamentale : comment donner à ces Français qui n’ont pas le sentiment de l’être un sentiment d’appartenance nationale ?» Sur cette question, la réponse de l’UMP est, selon lui, «toujours la même, le durcissement de la législation. Car son rapport "à l’étranger", entre suspicion et crainte, ne change pas».

L’objectif clairement affiché de Goasguen est de décourager les velléités de naturalisation des étrangers. L’interdiction de la double nationalité y concourt puisqu’elle leur impose de renoncer à leur héritage familial. Le député UMP de Paris prévoit également d’«instituer un examen de naturalisation en renforçant les exigences de maîtrise de la langue française».

Avec les mêmes arrière-pensées, Goasguen propose de «valoriser le statut de résident». «Plutôt que la naturalisation, la mission propose de favoriser la délivrance de la carte de résident permanent», explique-t-il. Pour convaincre les étrangers de renoncer à demander la nationalité française, il propose d’«assortir la possession [de la carte de résident] de l’octroi du droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales». En clair, ils demeureraient étrangers à vie et seraient autorisés à participer du bout des doigts à la vie politique du pays dans lequel ils vivent.

Par CATHERINE COROLLER A(Libération
)Photos AWEN JONES

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