Le poids de l’habitude comme arme politique

L’ex-espion du KGB se pose en sauveur du pays, sans percevoir que la société russe a changé.

Le poids de l’habitude comme arme politique
Finalement, c’est un retour à la maison pour Vladimir Poutine. Dmitri Medvedev ne devint président en 2008 que parce que Poutine ne pouvait pas exercer plus de deux mandats consécutifs. Le successeur avait été choisi pour sa loyauté. Et il a été loyal. Pendant ces quatre ans, Vladimir Poutine, l’ex-espion du KGB bientôt sexagénaire, originaire, comme Medvedev, de Saint-Pétersbourg, a continué de diriger le pays en tant que Premier ministre, le pouvoir n’étant pas lié à la fonction, mais à l’homme. Le président Medvedev s’en est tenu à son rôle : avoir un discours plus jeune et plus modéré, plus plaisant aux oreilles de la communauté internationale, mais jamais suivi d’effets, même si certains ont voulu y croire.

Medvedev a déjà disparu du paysage politique. «Depuis qu’il a renoncé à se représenter pour laisser la place à Poutine, Medvedev n’est plus crédible», souligne le politologue Stanislav Belkovski, longtemps considéré comme favorable au Kremlin. Poutine est convaincu que «tout était prêt pour sa réélection». Mais il y a eu un grain de sable. La situation internationale a changé. «Il craint des événements similaires aux révolutions arabes, qu’il croit préparés de l’extérieur. Medvedev, selon lui, aurait été trop faible pour s’y opposer.» Alors, plus la peine de faire semblant. Le pouvoir revient officiellement dans les mains qu’il n’a jamais quittées. Le ton redevient martial. Et l’esprit de coopération vis-à-vis de l’Occident cède la place à une attitude de défi, quitte à protéger Bachar al-Assad bombardant son peuple.

Tour d’ivoire. Poutine entend l’emporter au premier tour. Parce qu’en Russie, depuis la fin du système soviétique, il n’y a eu qu’une seule fois un second tour, en 1996, pour l’élection de Boris Eltsine. Poutine lui-même, alors quasi inconnu du public, l’a emporté en 2000 parce qu’il était intronisé par son prédécesseur. «Un second tour serait difficile pour lui. Même les alcooliques laisseraient tomber l’alcool et les malades leurs hôpitaux pour aller tous voter contre lui», ironise Belkovski.

Poutine veut une élection perçue comme légitime à l’étranger. Car la Russie n’est pas l’autarcique Biélorussie. Son économie est profondément intégrée au système mondial. Et, comme aiment le répéter les opposants, l’argent et les enfants des élites russes se trouvent en Europe ou aux Etats-Unis. Pas question donc de prêter le flanc à des sanctions du type gel des avoirs ou interdiction de visas. Rien n’est aussi mal passé à Moscou que la «liste Magnitsky», à savoir les mesures prises par l’administration américaine contre les personnes impliquées dans la mort en détention préventive de ce jeune juriste employé par une firme américaine.

Enfermé dans sa tour d’ivoire, entouré de ses courtisans, Poutine ne saisit pas l’ampleur du désamour des Russes à son égard. C’est pourquoi il est sans doute intimement convaincu que ce sont les autres qui trichent et qu’il accuse l’opposition de vouloir bourrer les urnes. Or, à part les gens qui votent systématiquement pour le pouvoir, et les villages isolés, «il n’y a plus guère que les femmes de plus de 40 ans qui votent pour lui. Souvent soutiens de famille, elles le perçoivent comme le directeur de leur caisse de retraite et craignent qu’un nouveau directeur ne respecte pas les engagements conclus par son prédécesseur», souligne Gleb Pavlovski, politologue qui fut pendant quinze ans un des gourous du Kremlin avant de rejoindre l’opposition en mai. Poutine, qui se voit sans doute enchaîner encore deux mandats, de six ans cette fois -soit jusqu’en 2024 -, est «convaincu qu’il a sauvé la Russie et n’arrête pas de rappeler aux gens comment ils vivaient mal dans les années 90».

«Mythique». Mais la Russie à laquelle il pense est «largement mythique», poursuit le politologue. La réalité est que le système de «démocratie dirigée» mis en place par Poutine, avec un Parlement sans débat, un parti sans idéologie et des tribunaux sans justice, ne fonctionne pas. La corruption n’a jamais été aussi élevée et l’on compte aujourd’hui 100 milliardaires contre à peine 3 il y a douze ans. Poutine s’en accommode et une économie basée sur le pétrole et le gaz est plus facile à contrôler qu’une économie diversifiée. Quand à la corruption, elle serait un moindre mal. «Poutine n’est pas un idéaliste, souligne Belkovski. Il croit que tout le monde est corruptible. Son amitié avec Silvio Berlusconi est basée là-dessus : le même non-respect des institutions démocratiques et la même attitude vis-à-vis de la corruption.»

Le contrat social qui liait Poutine aux couches les plus actives de la population a fait long feu. «Grâce à lui, les Russes ont pu lire ce qu’ils voulaient, aller là où ils voulaient. Ils ont vu comment l’Europe fonctionne. Et ils se sont mis à avoir envie d’être européens, mais maintenant, pas dans vingt ans !» Les classes moyennes sont descendues dans la rue. Reste à savoir si Poutine sera capable de négocier.

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