Il avait fallu l’enlèvement du Premier ministre Ali Zeidan et sa libération dans des conditions rocambolesques pour que la Libye attire brièvement les feux de l’actualité internationale. Sinon le reste du temps, elle en est cruellement absente. Et pourtant ce qui se passe en Libye est extrêmement dangereux.
L’insécurité est devenue un mode de gouvernement. En l’absence d’un État fort, les milices armées font la loi. Le pays, doté d’une incroyable richesse naturelle, est en train de gagner le label fort peu envié de "somatisation". Tous les experts de la question s’accordent à dire qu’il se transforme en refuge de tous les mouvements djihadistes, un marché lucratif à ciel ouvert pour se procurer des armes et monter des camps d’entraînement pour des jeunes apprentis terroristes.
Et pourtant malgré cette sombre situation et ce diagnostic inquiétant, forces est de constater que la communauté internationale observe un silence assourdissant. L’Union Européenne détourne timidement le regard. La France, qui a avait piloté l’opération militaire pour faire chuter le régime de Mouammar Khaddafi, ne montre plus la même implication. Même les États Unis, à la pointe dans la guerre contre le terrorisme et qui avaient perdu leur ambassadeur Chris Stevens dans un attentat à Benghazi, ne semblent pas s’inquiéter outre mesure. À l’exception de l’arrestation d’un gros poisson d’Al Qaida Abou Anas Al Libi. Les pays arabes qui avaient aidé à la chute du dictateur libyen comme le Qatar semblent s’accommoder avec les effluves du bourbier libyen.
Et pourtant l’expérience libyenne est d’une importance capitale. Le régime syrien de Bachar Al Assad lui doit beaucoup en termes de survie. C’est à cause de ses insuffisances et à la situation cauchemardesque que vit la Libye que Russes et chinois se sont notamment refusés à bénir une action militaire contre le régime de Damas.
La Libye d’aujourd’hui est un baril de poudre niché au cœur d’une région explosive. À l’Est l’Égypte avec son instabilité chronique et sa grande dispute sur le pouvoir entre militaires et frères musulmans, pourrait voir sa tension monter d’un cran à tout moment. À l’Ouest, la fragile Tunisie où les laïcs et les islamistes d’Ennahda peinent à conclure un accord solide de transition politique susceptible de rendre le pays perméable à toutes les tentatives de déstabilisation. Au Sud se trouve la grande région du Sahel devenue l’eldorado des mouvements djihadistes. La Libye les alimente en armes et se transforme en base arrière de leur repli stratégique. Si on rajoute à cela la multiplication des bateaux de la mort rempli de candidats à l’immigration désespérés qui tentent de traverser la méditerranée et dont Lampedusa est devenue le sinistre symbole, l’insécurité devient généralisée.
Pour toute ses raisons, la Libye, devenue le grand épouvantail des printemps arabes, devrait restée à la une de l’actualité, susciter de l’inquiétude plutôt que de sombrer dans l’indifférence. L’évolution de la Libye décourage les plus optimistes. Aujourd’hui se posent des questions lancinantes à son sujet. À supposer que la communauté internationale veuille agir pour limiter les pouvoirs des milices et tenter d’aider à la restauration d’un Etat central fort, de quels moyens dispose-t-elle pour le faire? Dans les milieux des observateurs qui suivent cette question, l’impression est solidement installée que le diable sorti de la boîte de Pandore libyenne est devenu difficilement maîtrisable. L’apprentissage de la démocratie, pensent les plus réalistes, pour dépasser les logiques tribales et mafieuses prendra du temps. Aujourd’hui, le défi immédiat semble de contenir son impact régional et de limiter les effets de sa contagion.