La France pragmatique après l’élection en Algérie

Après une première réaction plutôt fraîche, la France a finalement opté pour le principe de "réalité" vis-à-vis du président algérien élu, soucieuse de préserver une coopération jugée cruciale avec Alger notamment sur les enjeux sécuritaires régionaux, soulignent des experts.

Le président Emmanuel Macron a dans un premier temps seulement "pris note" de la victoire d’Abdelmadjid Tebboune, élu dès le premier tour sur fond d’abstention record (60%), quand d’autres, de Madrid au Caire, adressaient leurs "félicitations".

Il l’a en outre invité à engager un "dialogue" avec le mouvement populaire antisystème qui secoue le pays depuis huit mois et a obtenu la démission du président Abdelaziz Bouteflika en avril. "Je ne réponds pas au président français et ne reconnais que le peuple algérien", a alors répliqué M. Tebboune.

Changement de ton complet quatre jours plus tard, à l’issue d’un entretien téléphonique entre les deux hommes: Emmanuel Macron lui présente ses "voeux sincères de succès", la présidence algérienne fait même état de "chaleureuses félicitations" venues de Paris.

"Je pense que du côté français, on a réalisé que cette déclaration (initiale, ndlr) étaient contreproductive et qu’il fallait la rééquilibrer", estime Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève.

"Prendre note, cela a été perçu comme une position politique" et donc mal perçu à Alger, relève l’expert, en notant que la France n’a pas toujours pris les mêmes précautions.

– Un acteur clé –

Pour l’historien Pierre Vermeren, professeur à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, Emmanuel Macron s’est "emballé" en mettant en avant dans sa première réaction le mouvement de contestation, à l’unisson des médias.

"40% de participation, même si c’est (un taux) un peu gonflé, c’est quand même une base importante pour le pouvoir", selon lui. Le Hirak, qui boycottait le scrutin, "a certes remporté une certaine victoire mais pas assez pour invalider l’élection", ajoute-t-il.

Le président français a "dans un premier temps joué l’opinion puis dans un deuxième temps la réalité". "Il y a un président élu et même le Hirak fait avec. Ils ne l’aiment pas mais il est là. C’est +retour au réel+", insiste-t-il.

Comme la France, les Etats-Unis ont exprimé leur soutien aux Algériens qui descendent chaque vendredi dans la rue depuis bientôt dix mois pour crier leur rejet du régime. Mais ils ont dit aussi avoir "hâte de travailler avec le président élu afin de promouvoir la sécurité et la prospérité dans la région".

Dans le Golfe, "on a presque assisté à une compétition entre monarchies pour féliciter l’Algérie parce tous veulent avoir le soutien de ce pays dans un certain nombre de dossiers de la région", en premier lieu celui de la crise libyenne, relève Hasni Abidi.

Contre toute attente, l’Union africaine (UA) apparaît comme la plus réservée vis-à-vis du président élu. Le président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, a simplement "pris acte" mardi de l’élection et surtout rappelé que "le peuple algérien veut le changement et le progrès".

– "Toutes les portes" ouvertes –

Ce double message, à la fois au président élu et au peuple algérien, "gêne les autorités algériennes parce que c’est une reconnaissance qu’il y a un nouveau président certes mais aussi un nouvel acteur qui s’appelle le Hirak et qu’il faut composer avec lui", considère Hasni Abidi.

Le pouvoir algérien est soucieux, selon lui, d’agréger un certain niveau "d’acceptation internationale" pour le futur chef de l’Etat, synonyme aussi de "légitimité".

De son côté, la France veut préserver une "relation pragmatique" avec l’institution militaire qui "reste le vrai décideur en Algérie", souligne le chercheur.

Avec sa frontière de plusieurs milliers de kilomètres avec le Mali, le Niger et la Libye, l’Algérie est un acteur clé dans la lutte contre le jihadisme au Sahel, où la France est impliquée militairement.

Deuxième fournisseur de l’Algérie derrière la Chine, la France craint aussi que ses entreprises ne soient "discriminées" si elle braque trop le pouvoir, estime le chercheur.

Au final, Paris entend garder "toutes les portes" ouvertes à l’égard du régime comme de l’opposition, estime Pierre Vermeren. "Il faut pouvoir parler aussi au régime pour contenir de potentielles répressions parce que c’est le risque maintenant", avertit-il.

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