L’UE ouvre la voie à l’exemption de visas pour les Turcs, pas encore acquise
La Commission européenne a ouvert la voie mercredi à une exemption de visas pour les Turcs dans l’espace Schengen, et dévoilé une proposition aussitôt décriée de sanctions financières contre les pays refusant un partage de l’accueil des réfugiés.
Même en cas de feu vert complet ultérieur de la Commission, le Parlement européen, comme les Etats membres, devront encore donner leur aval à cette mesure, dans un contexte de méfiance grandissante vis-à-vis du régime islamo-conservateur turc.
Ils auront aussi leur mot à dire sur la réforme proposée du règlement Dublin, qui définit quel pays de l’UE est responsable d’une demande d’asile. La Commission a proposé mercredi des retouches plutôt qu’une révolution, avec un mécanisme de répartition automatique entre pays européens, en fonction de leur population et de leur PIB.
-"Chantage"-
Déclenché seulement en cas de pression "disproportionnée" sur un Etat membre, il serait assorti d’une sanction de 250.000 euros par personne non accueillie par un Etat membre ne s’y pliant pas, versée à celui qui prendra cet accueil en charge. En situation normale, la règle principale resterait celle du pays de première arrivée.
C’est du "chantage", a immédiatement réagi le chef de la diplomatie hongroise à propos de la sanction financière, dénonçant un projet "inacceptable" et demandant à la Commission européenne "de ne pas s’engager dans cette impasse".
Le gouvernement turc a lui salué une "nouvelle page" dans les relations avec l’UE après la proposition de Bruxelles d’intégrer la Turquie dans la liste des pays exemptés de visas" pour les courts séjours (90 jours maximum) familiaux, de voyages d’affaires ou touristiques.
Ankara en a fait un enjeu de politique intérieure et menace, s’il n’obtient pas satisfaction, gain de cause, de remettre en cause son pacte migratoire du 18 mars avec l’UE, prévoyant le renvoi en Turquie de tous les nouveaux migrants arrivant sur les îles grecques.
Combiné à la fermeture de la route migratoire des Balkans, l’accord a fait baisser la pression sur l’Union, même si la situation reste inquiétante en Grèce où sont bloqués des dizaines de milliers de réfugiés.
En 2015, l’UE a été ébranlée par l’arrivée d’un nombre sans précédent de 1,25 million de demandes d’asile, déposées principalement par des Syriens, Irakiens et Afghans fuyant la guerre et l’insécurité.
D’où la crainte que Bruxelles fasse preuve d’une indulgence intéressée vis-à-vis de la Turquie, que l’ONG Amnesty International accuse d’avoir renvoyé des dizaines de personnes en Syrie, ravagée depuis 2011 par la guerre.
Mais la Commission a assorti son avis favorable de conditions : parmi une série de 72 critères pour rendre la mesure possible, Ankara doit encore en respecter cinq "d’ici à la fin juin", a expliqué le vice-président de la Commission Frans Timmermans.
Ils concernent notamment la lutte des autorités turques contre la corruption, ou encore une révision de la législation du pays sur le terrorisme.
"Aucun citoyen turc n’entrera dans l’UE sans visa s’il n’a pas de passeport biométrique", a en outre assuré M. Timmermans.
Tojours pour rassurer, la Commission a repris la proposition franco-allemande d’une procédure permettant de suspendre rapidement une exemption de visas, notamment face à un éventuel un afflux de migrants venant de pays exemptés.
Le chef du principal groupe politique du Parlement européen, l’Allemand Manfred Weber (PPE, centre-droit) a salué cette mesure. Mais il a aussi prévenu que les eurodéputés ne transigeraient pas sur le respect "de tous les critères", dans un communiqué commun avec ses homologues des autres groupes politiques et le président du Parlement.
-Contrôles prolongés aux frontières-
Egalement sur le terrain migratoire, la Commission a donné son aval mercredi à une prolongation exceptionnelle des contrôles aux frontières intérieures de la zone Schengen de libre-circulation, rétablis par plusieurs pays au plus fort de la crise migratoire.
L’Autriche, le Danemark, l’Allemagne et la Suède vont aussi pouvoir poursuivre les contrôles sur certaines zones frontalières précises, alors que la durée maximale de ces dérogations à la libre circulation arrivait à son terme (le 13 mai pour l’Allemagne, le 16 pour l’Autriche).
La Commission, tout en louant les "efforts significatifs" de la Grèce, a constaté que de "graves déficiences" persistaient dans la gestion de la frontière gréco-turque, justifiant le déclenchement de cette procédure inédite.
Mais l’exécutif européen a aussi insisté sur l’objectif de voir cesser ces contrôles "d’ici la fin de l’année", et a pris soin de souligner que ces mesures n’étaient pas synonymes d’une exclusion de la Grèce de l’espace Schengen.