L’administration Obama et le nucléaire
Attendue pour décembre, pour février, puis pour le 1er mars, la publication de la nouvelle définition de la doctrine nucléaire des Etats-Unis – la troisième depuis la fin de la guerre froide – a de nouveau été retardée, pour cause de dissensions dans l’administration Obama.
Etabli à la demande du Congrès, le document (dit "Nuclear Posture Review") affiche les intentions de l’administration en matière de défense nucléaire. Le texte publié par l’administration Bush en 2001 avait autorisé une frappe contre un Etat qui utiliserait une arme chimique ou biologique, même s’il s’agissait d’un Etat non doté de l’arme nucléaire. Il préconisait aussi la fabrication de "mini-nukes", armes à faible puissance, mais susceptibles de percer des bunkers, au risque de banaliser le recours à l’arme atomique.
La révision façon Obama entend au contraire réduire le rôle du nucléaire dans la sécurité nationale. Elle devrait être publiée avant fin mars, affirme le haut responsable, et, en tout cas, avant le sommet convoqué par le président américain les 12 et 13 avril à Washington.
Annoncé dès le discours de Prague le 5 avril 2009, ce sommet sera consacré à la sécurité des armes nucléaires. Pour limiter la probabilité de voir une arme nucléaire tomber entre les mains de terroristes, M. Obama souhaite non seulement réduire leur nombre mais coordonner les procédures de sécurité.
Pour Joseph Cirincione, l’un des principaux experts américains sur les questions nucléaires, le retard de la publication du "Nuclear Posture Review" est "plutôt bon signe". Une première version, élaborée à l’automne au ministère de la défense, avait alarmé les experts. "C’était la même stratégie que Bush, un peu élaguée. Elle ne reflétait pas la réflexion du président", explique-t-il.
Le département d’Etat et le bureau du vice-président, Joe Biden, ont repris les choses en main. "Maintenant que les questions d’infrastructure et de contrats militaires ont été résolues, la discussion porte sur la doctrine. Pourquoi avons-nous des armes nucléaires ? Quel est le but de l’arme nucléaire au XXIe siècle ?"
Selon le New York Times, la réduction préconisée devrait s’élever à plusieurs milliers de têtes nucléaires, chiffre qui n’est pas démenti par l’administration (les Etats-Unis comptent actuellement 9 400 armes au total). Mais cette diminution n’empêchera pas "le maintien d’une dissuasion forte et crédible", affirme le haut responsable, notamment "grâce aux investissements prévus dans le budget" : 5 milliards de dollars (3,7 milliards d’euros) au cours des cinq prochaines années seront consacrés à la modernisation des armes existantes.
Bombes antibunker
Cette mesure, annoncée par le vice-président Joe Biden le 18 février, a provoqué la déception des partisans du désarmement. Ils l’ont jugée contradictoire avec la profession de foi de M. Obama sur un "monde sans armes nucléaires". Mais elle fait partie du compromis avec ceux qui, comme Robert Gates, se sont inquiétés de voir l’arsenal américain tomber en désuétude. Le ministre de la défense a réclamé un programme de remplacement pour les têtes nucléaires vieillissantes.
Et en novembre, les 40 sénateurs républicains, rejoints par l’ex-démocrate Joe Lieberman, ont écrit à M. Obama qu’ils ne ratifieraient l’accord en négociation avec la Russie sur les armes stratégiques Start que si un programme "significatif" de modernisation de l’arsenal existant était mis en place.
Dans leur stratégie de dissuasion, les Etats-Unis entendent s’appuyer davantage sur les armes conventionnelles et ils ne voient pas de "besoin militaire" pour les bombes antibunker, indique ce responsable. Ces bombes, susceptibles de pénétrer les souterrains dans lesquels l’Iran, notamment, détient ses armements, étaient l’un des dispositifs privilégiés par l’administration Bush.
L’essentiel du "Nuclear Posture Review" a déjà été approuvé. Il reste au président à trancher sur l’essentiel : les éléments "déclaratoires", c’est-à-dire le rôle de l’arme nucléaire et les cas où Washington envisagerait de pouvoir l’employer.
L’administration est engagée dans un débat qui transcende les clivages traditionnels (militaires contre civils), indique M. Cirincione. Certains officiers pousseraient pour un arsenal réduit, et ne sont pas opposés au démantèlement de stocks d’armes vieillissantes. Au contraire, d’autres, appartenant à "la vieille garde" du conseil de sécurité nationale, "veulent aller lentement". Les experts doutent que M. Obama puisse aller jusqu’à déclarer que les Etats-Unis s’interdisent d’utiliser l’arme nucléaire les premiers, comme le lui ont demandé les associations. Mais la question n’est pas officiellement tranchée, indique-t-on de bonne source.
Le débat porte surtout sur l’objectif de l’arme atomique. La version initiale du document indiquait que le "but premier" était de "répondre ou dissuader une attaque nucléaire sur les Etats-Unis ou leurs alliés". Ce qui sous-entendait qu’il pouvait exister d’autres objectifs.
Aujourd’hui, les spécialistes se demandent si le président va franchir le pas et déclarer que le seul but est la riposte ou la dissuasion. De la doctrine découle le nombre. "Va-t-il annoncer que l’objectif est de réduire à un total de 1 000 armes au total ?" s’interroge Joseph Cirincione. En l’absence de consensus, la décision est entre les mains du président.
Leur nombre a été réduit presque de moitié depuis 2001, mais 150 à 200 têtes nucléaires sont encore déployées en Europe, sur six bases situées dans cinq pays, derniers vestiges de la guerre froide. Les pays concernés (Allemagne, Belgique, Luxembourg, Norvège et Pays-Bas) ont demandé en février le retrait des armes sur leur sol. La question ne fait pas l’unanimité. La nouvelle position américaine sur les armes tactiques en Europe n’est pas finalisée. Dans son document stratégique quadriennal, publié en février, le Pentagone évoque une consultation des alliés sur "une nouvelle architecture de dissuasion régionale". Selon les experts, le document, en cours d’élaboration, indiquerait que Washington ne voit plus la nécessité de continuer à déployer ces armes en Europe, mais laisse la question être mise en délibéré à l’OTAN.