Hollande : «Le rôle de la gauche, ce n’est pas seulement la colère…»

A dix jours du premier tour de la présidentielle, François Hollande répond aux questions de la rédaction de «Libération».
Adix jours du premier tour de la présidentielle, François Hollande était hier l’invité de Libération. Il a répondu longuement aux questions de la rédaction.

Hollande : «Le rôle de la gauche, ce n’est pas seulement la colère...»
Jean-Luc Mélenchon semble pouvoir être le «troisième homme» de la présidentielle. Comment expliquez-vous que le PS n’ait pas utilisé mieux son talent ?
Jean-Luc Mélenchon n’est pas mon adversaire, ni même mon concurrent. Moi, je suis dans une campagne présidentielle pour la gagner. Jean-Luc Mélenchon a été socialiste pendant des années, il a été l’animateur de sensibilité. Il a été un tribun reconnu. Ensuite, il a fait une campagne – il était encore socialiste – pour le non à la Constitution européenne lors de laquelle il avait réuni un certain nombre de partisans et de foules. Son talent n’est pas en cause. L’enjeu est de savoir sur quelle ligne politique je peux gagner l’élection présidentielle. Je n’ai pas simplement à être dans l’expression d’une colère nécessaire, une dénonciation indispensable des désordres. Ce qui m’a été donné comme mission, c’est de gagner – ce n’est pas fait – l’élection. Je ne veux pas simplement figurer, je ne veux pas qu’on dise après : «C’était une campagne formidable, 2012, on va encore attendre 2017 et, même en 2017, ce n’est pas sûr parce que c’est trop dur, on va se donner 2022 comme objectif…» Je dois gagner, et ensuite répondre aux gens qui me disent : «Ne nous décevez pas, réussissez, agissez pour que les inégalités soient combattues, que le pays soit redressé, que la jeunesse soit enfin traitée avec dignité et responsabilité.» Voilà ce qui m’est donné comme mandat. Je m’y tiens.

Un bon score de Mélenchon, c’est bon pour vous ?
Ce qui compte, c’est un bon score de François Hollande au premier tour.

Le succès de Jean-Luc Mélenchon n’est-il pas comparable avec celui de Georges Marchais en 1981 ?
En 1981, Marchais a fait 15%. Est-ce que c’est ce résultat qui avait permis la victoire de la gauche ? Pour une part ! C’est surtout le fait que François Mitterrand ait été haut au premier tour qui a fait la victoire. Ma responsabilité est donc de faire le meilleur résultat au premier tour. Après, que le score du reste de la gauche soit important, qu’on ait un total des voix de gauche qui nous permette d’avoir la marge qui nous permettra de gagner, oui.

En 1981, il y avait un rejet du sortant, Giscard, mais il y avait aussi une adhésion au projet de Mitterrand. Or, on sent moins d’adhésion à votre projet…
1981, vingt-trois ans d’opposition ! Là, dix ans, c’est déjà pas mal… Je trouve que c’est même trop. En 1981, il y avait une espérance très forte d’un changement, d’une rupture même. Dans un autre contexte, trente et un ans après, il y a une espérance, forte, de justice, de confiance dans ce que peut faire la démocratie et l’action publique. Il y a aussi l’exigence de République, d’exemplarité, de lutte contre les corruptions. Je me dois de porter cette espérance.

La rigueur de gauche ne fait pas rêver !
Il n’y a pas de rigueur que je proclame. Il y a tout simplement le redressement. On ne peut pas vivre avec une dette publique qui a les conséquences que l’on sait. Il faut donc régler ça. Vous pouvez le faire dans la justice, en demandant d’abord à ceux qui ont le plus, du côté d’un certain nombre de hauts revenus et de grandes fortunes ; du côté aussi des entreprises qui ont d’ailleurs, comme l’a dit Laurence Parisot, beaucoup bénéficié de la politique de Nicolas Sarkozy. Ils ont dit qu’il avait fait un «boulot extraordinaire». Cela nous permet donc d’avoir quelques marges de manœuvre.

Vous évoquez les menaces proférées par la droite en matière de spéculation. Pensez-vous qu’il s’agit de faire peur ou y a-t-il des risques réels de spéculation ?
La spéculation n’a pas disparu, elle est là ! Elle touche un certain nombre de pays, elle a touché le nôtre. Elle n’a pas commencé avec l’hypothèse d’une victoire de la gauche. Finalement, cela fait déjà trois ans que les marchés imposent leurs règles et leur domination, c’est bien le reproche que je fais au candidat sortant, d’avoir été incapable avec les autres dirigeants européens de mettre un coup d’arrêt aux mouvements spéculatifs.

Par ailleurs, la droite est toujours sur le même levier de la peur : «Rendez-vous compte – je reprends cette expression car elle m’est souvent attribuée -, si la gauche arrivait, elle viderait les caisses», c’est fait ! Le constat a été établi, y compris par le Premier ministre, l’Etat est en faillite. Après, on nous dit : «Attention la gauche arrive, elle va mettre des déficits partout», c’est fait. Déficit du commerce extérieur, 70 milliards d’euros, déficit de la Sécurité sociale : 17 milliards d’euros, le chômage, l’Unédic, plus de 15 milliards d’euros de déficit cumulé. On nous dit : «Si la gauche revient, cela va être l’insécurité générale», mais c’est fait. La montée des violences, vous avez vu ce qui se passe en ce moment sur le plan de la grande criminalité. Dans cette campagne, parfois, je me demande si ce n’est pas moi le sortant. Lui, il n’est responsable de rien. Ce sont ses prédécesseurs, son successeur, les voisins, jamais lui !

Vous avez promis de créer 60 000 postes dans l’Education nationale. Or, à la rentrée 2012, il y aura 15 000 postes supprimés. Que prévoyez-vous ?
Les recrutements, c’est en ce moment. Vous savez que, compte tenu des suppressions de postes et de la réforme intervenue d’un recrutement à bac + 5, master, des candidats ne se présentent plus au concours. On n’est même pas sûr que tous les postes seront pourvus alors même que beaucoup ont été supprimés. Nous avons une rentrée qui va se faire dans des conditions très difficiles. Plaçons-nous dans l’hypothèse où je serai élu. Nous arrivons donc au mois de mai, nous n’allons pas faire un recrutement exceptionnel au mois de juillet. Nous aurons donc une rentrée très difficile, et nous en avons convenu avec les organisations syndicales. Il nous faudra faire une rentrée en mettant plus de moyens, mais pas nécessairement plus de profs puisqu’ils n’auront pas été recrutés. Que pouvons-nous donc faire ? Des assistants d’éducation, quelques recrutements contractuels pour faire que la rentrée se passe dans les meilleures conditions mais les nouveaux postes au concours seront ouverts l’année suivante.

Vous avez souligné la situation dramatique des comptes publics. Faut-il comme en Italie trouver un consensus national et ouvrir vers le centre ?
Je ne suis pas pour un scénario à l’italienne, car nous ne sommes pas dans la même situation. Mario Monti n’est pas arrivé après des élections mais après l’effondrement de Berlusconi, avec l’obligation de rétablir la confiance. Ce n’est pas un modèle pour l’Europe. Je ne peux pas dire qu’il faudrait aller chercher d’anciens gouverneurs de banques centrales ou des membres de commissions pour rétablir les comptes.

Mais s’il faut rétablir la confiance ?
La confiance s’établit de deux manières. La première, c’est en donnant un cap, une cohérence, ce que j’ai fait depuis le début en disant : «Nous avons une perspective qui est de rétablir les comptes publics à l’horizon 2017.» Nous nous y tiendrons. J’ai dit d’ailleurs comment nous pourrions y parvenir, à travers à la fois une maîtrise de la dépense et des recettes supplémentaires tirées d’une réforme fiscale. Deuxièmement, il y a la croissance, il n’y a pas de rétablissement de comptes sans croissance, il n’y a pas de maîtrise de dette, et a fortiori de réduction de dette sans croissance. D’où ma proposition de changer l’orientation de l’Europe et de renégocier le traité. On me dit que je ne serais pas forcément suivi. Mais l’élection présidentielle en France sera une élection européenne. Beaucoup nous attendent, nous regardent, parfois s’inquiètent, d’autres espèrent. C’est une élection majeure pour l’Europe.

Et le gouvernement au centre ?
Je ne fais pas d’ouverture, comme on le dit. Viendront, dans l’élection présidentielle, ceux qui veulent se retrouver sur le projet que je présente.

Le 1er juillet, si vous êtes au pouvoir, augmenterez-vous le Smic, et quelles sont vos propositions sur l’augmentation des salaires ?
S’il suffisait d’annoncer une augmentation du Smic pour gagner les élections, nous les aurions remportées en 2007. Ségolène Royal avait annoncé le Smic à 1 500 euros. Cela n’a pas été suffisant pour emporter la majorité. Néanmoins, il y aura un geste sur le Smic, un acte sur le Smic.

Lequel ?
D’abord, nous réunirons les partenaires sociaux, c’est ainsi que je veux procéder. Je verrai à ce moment-là le coup de pouce qui doit être donné. Vous savez que les prix ont augmenté plus sensiblement ces derniers mois, ce dernier mois en tout cas. Deuxièmement, je changerai le mode de calcul du Smic. Il sera non seulement indexé sur les prix mais aussi sur la croissance. Si la croissance revient, il est légitime, que les salariés payés au Smic en aient aussi le retour. Ensuite, sur le reste des salaires, ce n’est pas l’Etat qui décide. Cela se fait par des négociations dans les entreprises. Nous aurons aussi dans cette conférence salariale que je réunirai au lendemain de l’élection à déterminer les modalités de partage de la valeur ajoutée. Mais nous savons que nous sommes dans une croissance très faible en 2012, 0,7%. C’est plutôt pour chercher des clés de répartition de cette valeur ajoutée pour l’avenir.

Un Smic à 1 700 euros, c’est trop ?
Passer tout de suite de 1 400 à 1 700 euros ? Sur le plan du souhaitable, qui pourrait aller contre ? Sur le plan du possible, je n’ai pas simplement à évoquer un principe, un affichage, j’ai à réussir ensuite. Je ne viens pas pour faire une augmentation du Smic et après partir en disant : «Voilà, j’ai obtenu ça, je m’en vais, cela suffit.» J’ai un devoir de rester sur cinq ans un président qui, avec une majorité, va transformer, va réformer, va permettre des conquêtes. Il faut en terminer avec la gauche qui ferait un petit tour. D’ailleurs, c’est ce que la droite nous dit. Maintenant, elle ne parle même pas de deux ans, elle parle de deux jours. Eh bien non ! On va essayer de rester, non pas simplement sur un quinquennat mais sur plusieurs.

Comment allez-vous aller chercher la croissance ?
Il y a eu des périodes où la croissance était plus forte que ce que nous connaissons depuis dix ans. Souvenez-vous du temps des débuts de Lionel Jospin, nous avions atteint jusqu’à 4%… C’est donc une affaire de cycle. Nous avons retrouvé un cycle de croissance. Comment pouvons-nous engager ce cycle ? Il y a d’abord ce que le progrès technique peut apporter, il faut nous servir des nouvelles technologies. Il y a la transition écologique qui est un facteur de croissance. Deuxièmement, il y a une coopération entre pays, c’est donc tout l’enjeu de l’Europe, savoir si elle doit être une Europe d’austérité ou une Europe de croissance. Comme les politiques de croissance ne peuvent plus venir de chaque pays, c’est l’enjeu européen que de permettre d’avoir ce développement.

Trouvez-vous la campagne «ennuyeuse» ?
L’idée d’une campagne ennuyeuse est aussi vieille que l’élection présidentielle. Dois-je rappeler : 2002, campagne ennuyeuse, c’était tellement ennuyeux que, d’ailleurs, on s’est tapé Jean-Marie Le Pen au second tour, pour nous mobiliser le 1er mai. Campagne de 1995 : ennuyeuse aussi, même s’il y avait un troisième homme qui s’appelait Jacques Chirac. Celui-là, il faisait sourire. Finalement, il a été élu ! Campagne ennuyeuse, celle de 2007, tout était joué, depuis le début ! Nicolas Sarkozy devait gagner, c’est ce qui s’est produit. Laissons de côté l’ennui. Que voulons-nous ? Quel est l’objectif ? Je veux que cette campagne change la vie des Français. Je ne suis pas dans une campagne pour m’amuser, pour créer de la joie, simplement, il vaut mieux qu’elle soit là plutôt que l’ennui. J’ai une responsabilité supérieure à celle-là.

Vous pensez que les Français sont encore acteurs de la vie politique ?
Les Français viennent dans les meetings. Il y a du monde, pour les uns comme pour les autres, j’espère plus pour les uns que pour les autres ! Les Français regardent la télévision. Après, si on leur dit qu’ils s’ennuient, à un moment, ils ne viennent pas voter. Je pense qu’il y aura une participation qui sera relativement élevée. A nous de la créer et à ne pas donner l’impression que tout serait joué. Cela fait un an qu’on dit que je vais être élu, je n’en suis pas sûr, car ce sont les électeurs qui vont décider. A force d’annoncer un résultat, on finit par ne pas le créer et d’avoir de mauvaises surprises.

Quelles sont vos références théoriques vous permettant d’avoir des avis sur les inégalités, la misère, etc. ?
Je me suis, depuis plusieurs années, intéressé aux inégalités dans notre pays, qui ne sont pas que des inégalités de revenus, de patrimoine, qui peuvent aussi être des inégalités liées à une situation générationnelle, à une souffrance au travail, à des situations personnelles. Il y a en effet beaucoup d’études qui ont été engagées. Ce qui me frappe dans cette campagne, mais c’était déjà vrai il y a quelques années, c’est à la fois le besoin de sens, de valeur, de principe, et en même temps, la demande presque personnelle de réponse. On est devant cette contradiction de grande attente collective. Qu’est-ce qu’une nation peut encore faire ? Que peut être un destin collectif ? Peut-on vivre ensemble ? Et en même temps un rapport presque obsessionnel sur «qu’est-ce qui va changer pour moi ?». Le rôle du candidat, et j’espère du prochain président, est de faire ce lien, c’est-à-dire de ne pas laisser la société se fragmenter avec autant de situations vulnérables que nous pouvons en connaître, qui ne créent plus de solidarité tout en étant capable de donner une dimension dépassant les intérêts individuels ou même catégoriels.

A quels secteurs de la fonction publique allez-vous demander de faire des efforts et éventuellement de prolonger la règle du «non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux» pour honorer votre promesse sur l’éducation ?
J’ai fixé la règle que les effectifs de la fonction publique d’Etat seraient stables durant le prochain quinquennat. Il en sera terminé de la mécanique du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Dans ce cadre, dès lors que l’éducation nationale va être prioritaire (60 000 postes), que j’ai également précisé qu’il y aurait 5 000 postes pour police, justice et gendarmerie, cela fait donc 65 000 postes. Il y a 60 000 fonctionnaires qui partent à la retraite. Il y aura donc trois ministères où il y aura une progression des effectifs. Dans les autres ministères, il n’y aura pas le remplacement de tous les fonctionnaires partant à la retraite. Nous regarderons dans chaque ministère les remplacements qui doivent être faits.

Y compris la Défense ?
Y compris la Défense puisque, normalement, la Défense ne doit pas remplacer 14 000 fonctionnaires partant à la retraite. Il y aurait une diminution des effectifs. Je mènerai également un nouvel acte de décentralisation, donc transfert d’un certain nombre de compétences aux collectivités locales. Nous aurons donc aussi cette clarification des compétences et des responsabilités à l’échelle territoriale.

Quels sont les dossiers prioritaires à l’international ?
J’ai annoncé, et je le réaffirme ici, que dès le lendemain de l’élection présidentielle, j’engagerai le retrait des troupes françaises d’Afghanistan pour que l’opération soit définitivement arrêtée fin 2012. Sur la Syrie, qui sera un sujet extrêmement préoccupant, je ferai tout (et je n’ai pas de critique à faire sur la diplomatie française) pour que le Conseil de sécurité puisse enfin décider un niveau de sanction et d’intervention permettant d’en terminer avec les massacres. Le sujet le plus préoccupant, au-delà de ceux dont je viens de parler, c’est la zone Sahel. Les conséquences de ce qui s’est produit en Libye, l’anarchie qui y règne, ce qui était en cours en Mauritanie… Tout cela fait qu’Aqmi et un certain nombre de réseaux se sont installés sur toute une zone. Je rappelle qu’Aqmi détient encore des otages français. Nous devons appuyer tous les efforts de la Cédéao, de l’OUA, de l’ONU (1), pour éviter que le Mali ne soit séparé de lui-même, et qu’Aqmi ne puisse s’y installer avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer.

La France doit-elle intervenir militairement au Mali ?
Pour l’instant, c’est aux Africains de le faire. C’est éventuellement à la Cédéao, à l’OUA ou à l’ONU de la décider. Ne laissons pas penser que ce serait à la France de faire d’abord cette intervention. Si l’ONU le demande, nous verrons bien. Pour l’instant, la pression a été déjà utile, puisqu’il y a un processus politique qui est revenu au Mali, mais il y a le risque d’une séparation.

Le Parti socialiste semble avoir accepté que la question de l’immigration ait été déplacée vers l’extrême droite. Vous rassurez-vous du fait que cette question n’est pas centrale dans cette élection ?
Je refuse l’inhibition, mais il y en a un qui est décomplexé, vous avez raison, c’est Nicolas Sarkozy. Il en fait un thème de la campagne, laissant penser que si la gauche était aux responsabilités, elle régulariserait tous les sans-papiers. Je préfère vous dire que nous ne régulariserons pas tous les sans-papiers, parce que nous en avons tiré aussi toutes les conclusions. Nous régulariserons au cas par cas sur la base de critères transparents, objectifs et qui permettront de prendre en compte à la fois la présence sur le territoire, la situation familiale et le travail. De la même manière, nous n’accepterons pas qu’il puisse y avoir des filières de travail clandestin qui prospèrent. Je n’admettrai pas ce qui se produit dans un certain quartier de nos villes où se concentrent toutes les populations qui sont les plus fragiles et qui sont logées dans des conditions inacceptables.

Vous renverrez les clandestins ?
De la même manière, dès lors que nous ne régulariserons pas tous les sans-papiers, que nous procéderons au cas par cas, que nous voulons une immigration qui soit acceptée, il y a une immigration qui ne peut pas l’être. Les reconduites à la frontière auront donc lieu. C’est cette clarté qui nous permet de ne tromper personne sur nos intentions, de respecter la dignité des personnes et en même temps d’affirmer l’existence de règles.

Est-ce que vous supprimerez les quotas ?
Aujourd’hui, il y a 200 000 personnes qui rentrent de manière légale sur le territoire. Nous abrogerons bien sûr la circulaire Guéant qui est à la fois une honte par rapport à son intention, mais en plus une erreur, une faute dès lors que des étudiants nous apportent le meilleur : leur talent, leur travail et leur volonté de parler notre langue. Nous savons bien que les propositions de Nicolas Sarkozy de réduire de moitié l’immigration légale se reporteraient uniquement sur les conjoints de Français et sur le regroupement familial, ce qui est contraire à toutes les règles européennes et internationales. Nous appliquerons les règles aussi bien de l’asile, que des conventions européennes de manière à ce que l’immigration légale soit fondée justement sur les lois.

Que pouvez-vous dire à ceux qui hésitent à voter pour vous au premier tour pour leur montrer que vous avez vraiment des convictions de gauche ?
Qu’est-ce qui m’anime ? L’égalité et la justice partout ; elle a été tellement malmenée, dans l’éducation, dans la formation, dans l’insertion, dans l’emploi. Ma volonté est de réduire un certain nombre de privilèges qui se sont installés, privilège de la fortune, privilège de la naissance, privilège des réseaux. Nous sommes dans une société où il y a eu un renforcement considérable des écarts. Une espèce de nouvelle aristocratie s’est installée. Je veux non pas l’éradiquer, mais je veux que l’on retrouve de la confiance, de la fierté. Sur les valeurs républicaines, il y a eu tellement de manquements, de régressions, que je veux redonner de l’exemplarité à l’action de l’Etat. Le rôle de la gauche n’est pas simplement de vouloir faire à un moment une grande colère. C’est être capable de donner à une génération, celle qui arrive, une place, un rôle, une responsabilité. C’est ma démarche. Une élection présidentielle n’est pas un moment de relâchement, d’exaspération ou même de dialogue, c’est un moment où nous devons transformer.

Le premier tour est-il décisif à vos yeux ?
On a bien vu ce que voulait le candidat sortant : arriver en tête, un écart le plus grand possible, une gauche dispersée, vous avez vu les compliments qu’il fait à Jean-Luc Mélenchon qui n’y est pour rien d’ailleurs. «Quel talent !» «Vraiment, c’est formidable cette gauche-là.» Ce n’est pas le Front de gauche qui est en cause mais la manœuvre, que l’on connaît parfaitement ! Après, au second tour, en disant : «Vous vous rendez compte, vous n’allez pas confier le pouvoir à un socialiste qui va être l’otage (l’"otage", c’est le mot utilisé) de l’extrême gauche et avec des positions qui nous mettraient forcément en contradiction avec les autres pays européens et les marchés.» Chacun sait maintenant exactement ce qu’il a à faire. J’appelle effectivement à ce que le score au premier tour soit le plus élevé possible.

Vous dites vouloir mettre le débat sur la moralité publique. Est-ce une leçon que vous tirez de votre absence sur ce terrain-là en 2002 ?
C’est une question essentielle, qui ne change pas la vie de nos compatriotes, mais qui permettra de faire une vraie distinction : indépendance de la justice, fin des magistrats du parquet nommés par le pouvoir politique, charte éthique pour les membres du gouvernement, non-cumul des mandats, fin du statut pénal du chef de l’Etat, suppression de la Cour de justice de la République. Je pense qu’il faut prendre tous les risques de ce point de vue. Mieux vaut être exposé à toutes les investigations plutôt que de donner le sentiment de s’en protéger. Quoi qu’il en coûte, et il en coûtera nécessairement parce que nous ne sommes pas dans un monde parfait, et aucun parti n’est un modèle, il n’y aura aucune exception, aucune protection.

Pourquoi ne pas avoir repris finalement l’idée de la VIe République, qui est un marqueur simple ?
La VIe République laissait penser, et c’était l’idée d’Arnaud Montebourg, que nous voulions modifier les règles de notre Constitution avec un régime plus parlementaire, un président qui n’aurait été qu’un arbitre. Je ne suis pas favorable à cette évolution. Je considère que le chef de l’Etat doit être responsable d’un certain nombre de domaines, fixer les grandes orientations, que le Premier ministre doit être responsable devant le Parlement. Nous devrons également élargir la démocratie sociale. Cela me semble être une étape beaucoup plus importante que la démocratie politique, et je pense que les corps intermédiaires sont précieux. Quant au référendum, puisque l’idée a été évoquée par celui qui ne l’a jamais utilisé, il est possible que sur les institutions nous ayons à le faire. Je considère qu’il y a deux domaines où le peuple doit être consulté, celui d’un changement substantiel des institutions – et surtout lorsqu’il n’y a pas de majorité qualifiée pour y procéder par la voie du Congrès -, et celui du transfert de souveraineté.

Vous avez parlé du remplacement de certains hauts fonctionnaires. Sans les nommer, chacun a compris que vous parliez notamment de messieurs Péchenard et Squarcini, les patrons de la police et des services secrets. Les congédierez-vous si vous arrivez au pouvoir ?
J’ai considéré que, dans ce domaine-là, il y avait eu un lien très fort avec le président de la République actuel, qui avait d’ailleurs été revendiqué, et que, dans un temps qui n’a pas besoin d’être précisé, il y aura les remplacements. D’ailleurs, c’est parfaitement compréhensible, y compris par les intéressés. Les seuls critères de nomination seront ceux de la compétence et de la loyauté. Pas de la loyauté à l’égard du chef de l’Etat mais de la loyauté à l’égard de l’Etat.

Et dans l’audiovisuel ?
Nous changerons la procédure et la règle. A l’avenir, la nomination des présidents de chaînes publiques se fera à la majorité qualifiée des deux tiers à l’Assemblée nationale et au Sénat par les commissions. Cela veut dire que ce sera nécessairement une forme de consensus entre la majorité et l’opposition.

Nicolas Sarkozy vient de se déclarer favorable à une forme d’encadrement des loyers. Jusqu’ici, il était farouchement contre (lire page 14). Comment analysez-vous ce retournement?
Lorsque j’avais fait la proposition d’un encadrement des loyers dans les zones sous tension, au moment de la première mise en location ou de la relocation, il m’avait traité de «Soviétique». Je suis heureux de voir que sous la pression, il arrive à un modèle qu’il décriait hier. Je ne me plains jamais d’avoir été le premier à avoir eu raison. S’il a pu être convaincu, dommage qu’il ne l’ait pas fait au début de son quinquennat. Je vais donc préciser ce que j’ai dit : ce serait dans les zones sous tension et au moment de la première mise en location ou en relocation. Ce serait par rapport aux loyers du bassin d’habitat considéré.

Regrettez-vous l’accord passé avec les Verts ?
L’écologie politique ne se confond pas avec la candidature d’Eva Joly. Je ne sais pas quel sera son résultat, mais je sais que l’aspiration écologique est supérieure, quoi qu’il se passe le 22 avril, à ce score. L’accord entre le Parti socialiste et Europe Ecologie, notamment sur les circonscriptions, m’a paru une bonne manière de faire une représentation plus fidèle de ce que doit être l’Assemblée nationale par rapport au pays. Dans ce sens, il doit être respecté.

Votre manque d’expérience gouvernementale est-elle un handicap ?
Je n’ai pas un manque d’expérience. J’ai une expérience qui est celle d’avoir été parlementaire depuis longtemps, chef de parti pendant dix ans, associé aux décisions du pays. Je ne laisserai personne laisser penser que choisir un candidat qui n’a pas été membre d’un gouvernement – j’en avais moi-même pris la décision lorsque j’étais premier secrétaire – serait un risque. Le risque, c’est de continuer avec celui qui a une mauvaise expérience et qui va jusqu’à dire qu’il sera un président différent. Quand je regarde ce qu’est la vie démocratique dans tous les autres pays, nul ne pose cette question du défaut d’expérience pour celui ou celle qui se présente aux suffrages. La seule expérience qui compte, c’est sa capacité politique.

Comment gouverner avec ceux qui vous ont tant décrié au sein du PS ?
Qu’est-ce que c’est que finalement, à un moment, se hisser au niveau qui convient ? C’est être capable d’oublier, en tout cas de ne pas rappeler ce qui a pu séparer ; c’est avoir le sens non pas du pardon, mais le sens de la responsabilité, de se dire : ce qui va compter, c’est la somme d’expérience, de talents, de renouvellement, y compris après des combats politiques qui ont pu nous séparer dans le parti ou au-delà du parti. Ce qui compte, c’est l’avenir, pas le passé. Je n’ai aucune rancune, aucune rancœur.

Il n’y a pas un problème de confiance avec des gens comme Laurent Fabius ?
Regardez comment se fait cette campagne : beaucoup n’avaient pas imaginé que je serai le candidat. Certains avaient pris beaucoup d’hypothèses différentes. Mais jamais il n’y a eu une campagne où l’esprit d’unité, de rassemblement a été aussi fort. Jamais. C’est d’ailleurs ce qui me donne une force et une confiance.

Il n’y a pas de «douce euphorie» au PS en imaginant la victoire ?
Il y a de la douceur, je l’espère, mais il n’y a pas d’euphorie, parce que je ne sais pas, et je vous le dis franchement, qui va gagner l’élection présidentielle. Comme je ne sais pas, je me bats et j’essaie de convaincre.

En cas d’échec, comment voyez-vous votre avenir personnel ?

Mon sort personnel est tout à fait secondaire, je veux dire par là que bien sûr que je fais tout depuis plusieurs mois, plusieurs années même, pour devenir le prochain président de la République. Je ne le fais pas par une espèce de prétention ou d’obsession. Je n’ai pas conçu cela très tôt dans le ventre de ma mère en me disant : «Ça y est, c’est ton destin.» Cela s’est construit en fonction d’une volonté, la mienne, de m’engager dans la vie politique très tôt, puis de saisir toutes les responsabilités que je pouvais éventuellement conquérir, les mandats politiques, ou obtenir par le suffrage militant, ou par le choix en l’occurrence de Lionel Jospin de me confier la direction du parti. Il y a un moment où je me suis dit : «Je peux être utile.» Un sentiment que je correspondais à la période. J’avais évoqué le «candidat normal» et beaucoup s’étaient gaussés. Je les avais laissés faire. Je pense que les Français veulent avoir un président qui non pas leur ressemble, mais qui soit capable de donner une autre relation avec le pays, une relation de confiance, de respect, de considération. Le mot-clé, c’est la considération. Il y a un moment, ce qui compte, c’est la nation plus que l’égotisme. On a tellement souffert de cette dérive personnelle, tellement été même gênés par cette espèce d’exhibition permanente, de dévoilement. Vous en connaissez suffisamment sur moi-même, sur ma vie, sur mes sentiments, sur mes choix. Je ne vous demande pas de m’épouser…

(1) La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest, l’Organisation de l’unité africaine et l’Organisation des Nations unies.

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.

Ce site Web utilise des cookies pour améliorer votre expérience. Nous supposerons que vous êtes d'accord avec cela, mais vous pouvez vous désinscrire si vous le souhaitez. J'accepte Lire la suite