Entre armée française et villageois maliens, deux versions d’un dimanche sanglant au Sahel
Que s’est-il passé dimanche près de Douentza, dans le centre du Mali en pleine tourmente sécuritaire ? L’armée française dit que ses avions ont éliminé des dizaines de jihadistes tandis que des villageois rapportent la mort de plusieurs civils dans la frappe d’un hélicoptère non-identifié.
Les messages ont proliféré sur les réseaux sociaux depuis dimanche sur les évènements survenus dans le village de Bounti, dans ce centre malien qui est l’un des principaux foyers de violence au Sahel.
Le silence observé par les autorités maliennes et par la force antijihadiste française Barkhane a laissé le champ libre à un flot de spéculations, difficilement vérifiables dans une zone éloignée dont l’accès est rendu très compliqué par la forte présence des jihadistes. Il n’y a guère que l’armée nationale et Barkhane pour opérer offensivement dans le ciel malien.
Tabital Pulakuu, une association pour la promotion de la culture de l’ethnie peule, a fait état la première d’une « frappe aérienne (ayant) coûté la vie à une vingtaine de personnes civiles au moins » au cours d’un mariage. Des témoignages de villageois recueillis par l’AFP ont accrédité ce récit.
L’armée française a fini par s’exprimer mardi. Dimanche, a dit l’état-major français à l’AFP, une patrouille d’avions de chasse a frappé à l’ouest d’Hombori (donc dans le même secteur) un rassemblement de jihadistes préalablement repérés après une opération de renseignement de plusieurs jours. Elle a « neutralisé » plusieurs dizaines d’entre eux, a-t-il ajouté par euphémisme.
Le comportement des individus, leur équipement et le recoupement du renseignement excluent autre chose qu’un rassemblement jihadiste comme Barkhane en frappe régulièrement, a-t-il dit. « Il ne peut y avoir de doute et d’ambiguïté: il n’y avait pas de mariage », a assuré un responsable militaire français.
Des villageois joints sur place livrent une autre version. Elle diffère à ce point et l’indigence d’informations est telle que, parmi de multiples conjectures, l’hypothèse d’évènements concomitants dans le même secteur ne peut être totalement exclue.
« Morceaux de corps éparpillés »
Les villageois ont relaté une frappe d’hélicoptère en plein jour semant la panique dans une foule assemblée selon eux pour des noces.
Cela « a été le sauve-qui-peut. Je me suis retrouvé en brousse mais j’ai perdu deux frères », a dit Ahmadou Ghana. « L’hélicoptère volait très bas, au point qu’on croyait qu’il allait survoler le village », a abondé un autre villageois, Mady Dicko.
Depuis dimanche, « nous n’avons vu aucun représentant des autorités. Alors, ce matin, on a creusé une fosse pour mettre les corps, qui sont restés là depuis dimanche sans que personne n’y touche », a dit Mady Dicko.
Les corps « ne sont pas identifiables, ce sont des restes de corps, des morceaux de corps humains éparpillés », a rapporté un autre villageois, Hamdoun Baouro Sy. « Nous aimerions que les autorités viennent au moins nous dire à qui appartient l’hélicoptère, qui a tué nos parents ».
Sollicitées à maintes reprises, les autorités maliennes dominées par les militaires depuis le putsch du 18 août sont restées silencieuses.
La force des Nations unies (Minusma) a affirmé qu’elle n’était « pas impliquée dans les évènements survenus récemment dans la zone de Bounti ». « La division des droits de l’Homme de la Minusma a initié une enquête », a indiqué un porte-parole.
Violences communautaires
Les faits survenus à Bounti sont une nouvelle manifestation de l’âpreté du théâtre sahélien. Samedi, cent civils ont été tués dans deux villages de l’ouest du Niger, dans l’attaque jihadiste considérée comme la plus meurtrière contre des non-belligérants au Sahel.
La France vient de perdre coup sur coup cinq soldats tués au Mali par des engins explosifs improvisés. Elle examine actuellement l’évolution de son engagement en cours depuis 2013 au Sahel, où elle déploie 5.100 soldats.
Quant aux militaires qui ont pris le pouvoir en août à Bamako et promettent de le rendre aux civils, ils doivent montrer qu’ils sont capables de stopper la descente aux enfers en cours depuis des années.
La région de Mopti, où se trouve Bounti, à quelque 600 kilomètres de Bamako, est l’un des principaux foyers des violences parties du nord en 2012. Depuis que les groupes armés, à commencer par celui de l’imam radical peul Amadou Koufa affilié à Al-Qaïda, y ont pris pied en 2015 le centre est le théâtre d’exactions de toutes sortes: attaques contre le peu qu’il reste de l’Etat, massacres, représailles et actes crapuleux.
Les violences ont pris un caractère communautaire accru, surtout entre Dogons et Peuls, souvent assimilés aux jihadistes. A ces violences s’ajoutent les exactions des forces de sécurité maliennes contre les civils.
Les violences au Sahel ont fait des milliers de morts depuis 2012.