Le livre, qui emprunte autant à la sociologie qu’à la politologie, décrit l’explosion des réflexes à la fois communautaires, de classe et individualistes au détriment d’un socle minimal de références partagées par tous.
L’analyse de ce sondeur – effectuée avant la crise des "gilets jaunes" qui paraît la confirmer -, montre au passage comment l’affrontement entre droite et gauche cède de plus en plus vite la place à l’opposition entre villes-centre et zones périurbaines et entre gagnants et perdants de la mondialisation.
QUESTION: Après l’effondrement de la droite et de la gauche parlementaires, absentes du second tour de la présidentielle de 2017, le clivage droite-gauche existe-t-il encore en France ?
REPONSE: "Il existe encore, ne serait-ce que parce que toute une partie de la population française l’utilise encore pour se positionner ou se définir. Du côté de l’offre politique, on a encore des partis -même s’ils ne sont pas forcément au mieux de leur forme-, qui se revendiquent de ce clivage-là. Il a encore une certaine réalité, une certaine efficience aussi pour appréhender un certain nombre de débats. Pour autant, le clivage droite-gauche n’est plus premier, plus central. De manière très opérationnelle, on peut faire l’hypothèse que les partis qui se revendiquent le plus de la droite ou de la gauche vont être relégués en 2e division."
Q: Le clivage entre "progressistes" et "nationalistes", ou "mondialistes" et "nationaux" qu’affirment et revendiquent la LREM et le RN peut-il complètement remplacer l’ancienne opposition droite-gauche ?
R: "En tout cas, ces deux formations qui aujourd’hui font la course en tête, pas avec des scores spectaculaires je le concède, sont des formations qui ne se reconnaissent plus dans ce clivage-là. La liste LREM aux européennes, c’est la droite de la gauche et la gauche de la droite en train de s’agglomérer face à un pôle nationaliste. Ce n’est pas une situation uniquement franco-française d’ailleurs."
Q: Que s’est-il passé pour arriver à une telle dislocation d’un clivage qui a structuré la politique pendant si longtemps ?
R: "J’ai parlé de la fin de la +moyennisation+ des années 1960, lorsqu’on a intégré des pans entiers de la population dans la classe moyenne par la société de consommation, et par un secteur industriel qui était très puissant. C’est en train de s’effondrer, de craquer sur les maillons faibles. Parmi les publics qui étaient surreprésentés dans le mouvement des gilets jaunes, on a parlé des caristes, c’est-à-dire le salariat de la logistique. Pas de syndicats, très atomisé… La France de l’étalement urbain aussi, rattrapée parce qu’elle a un budget carburant qui est important. Et puis les familles monoparentales. Comme la consommation est devenue l’alpha et l’omega de l’épanouissement, vous pouvez avoir objectivement un niveau de vie meilleur que celui de vos parents et ressentir l’inverse. C’est une machine à frustration énorme."
Q: Vous parlez d’une nouvelle question sociale. C’est de droite ou de gauche ?
R: "Cela peut être un champ à labourer pour la gauche, une gauche réinventée."
Q: Vous avez dit dans une interview que la première demande serait de baisser les impôts. Ce n’est pas un réflexe associé à la gauche.
R: "Il y a une très forte sensibilité à la pression fiscale qui est objectivement élevée. Dans un contexte où le rapport de force dans les entreprises est très défavorable aux salariés, et où l’on se dit que la modération salariale, on y est pour des années et des années, les principales marges de manoeuvre perçues sont fiscales. Et c’est sur une histoire de taxes et d’impôts que les gilets jaunes ont dégoupillé, même s’il y a un rapport très ambivalent à l’État et aux pouvoirs publics, avec une demande de plus d’Etat."
PROPOS recueillis par Christophe SCHMID