En France, une fonction présidentielle de plus en plus désacralisée
Une ex-Première dame, deux anciennes ministres, bientôt un ancien conseiller… Les livres réglant comptes personnels et politiques s’abattent sur François Hollande, reflétant une désacralisation accélérée de la fonction présidentielle en France, dont est en partie responsable le chef de l’Etat, selon des experts.
Deux ex-ministres, Delphine Batho, limogée en 2013, et Cécile Duflot qui a jeté l’éponge au printemps, se sont, elles, chacune épanchées sur leur vision désenchantée de la présidence Hollande, allant jusqu’à tutoyer le chef de l’Etat dans leur ouvrage et dévoiler des conversations privées.
L’une a intitulé son récit "De l’intérieur. Voyage au pays de la désillusion" tandis que l’autre a choisi "Insoumise", toutes deux voulant marquer leur rejet d’une présidence dans laquelle François Hollande a trahi, selon elles, son idéal de gauche, sa base et ses soutiens.
Alors que le président entame la deuxième partie de son mandat de cinq ans handicapé par des records d’impopularité, l’un de ses anciens proches conseillers, Aquilino Morelle, va, lui, écrire un livre après son éviction en avril suite à un soupçon de conflit d’intérêt. "Ca va saigner", a-t-il prévenu, selon le magazine Le Nouvel Observateur.
"Ces ouvrages s’inscrivent dans un phénomène de société lié à la perte du respect pour la fonction présidentielle et la perte de la question de l’intérêt général", décrypte auprès de l’AFP le politologue Stéphane Rozès. "Par narcissisme, on confond aujourd’hui la personne et la fonction sans voir les dommages causés à la fonction", déplore-t-il.
Un ancien ministre, sorti du gouvernement à la faveur d’un remaniement, Philippe Martin a dénoncé l’individualisme de la démarche "littéraire" de ses collègues: "Désormais, chaque personne qui a été quelqu’un veut qu’on en retienne quelque chose, même si le collectif s’écroule", a-t-il récemment noté. "Si on veut conserver de la majesté à la République, il ne faut pas l’abîmer", a-t-il ajouté.
– Haro sur la "’présidence normale" –
Pour le sociologue Alain Mergier, "ces ouvrages sont les différentes facettes d’un même mouvement: la fin d’un certain type d’incarnation de la souveraineté" où "le "corps institutionnel" du président disparaît pour ne plus laisser place qu’au "corps physique", ouvrant la voie à des relations interpersonnelles avec le chef de l’Etat dominées par le négatif et le scandale sous les yeux de réseaux sociaux friands de "combats de boxe".
Selon cet expert, l’entourage de François Hollande se sent autorisé à des livres vengeurs "du fait de la désacralisation de l’autorité présidentielle", rampante, selon lui, depuis plusieurs années. "La souveraineté du chef de l’Etat a été remise en cause par la place prépondérante de l’Europe dans les décisions mais aussi par la prise de conscience, avec la crise financière de 2008, que le pouvoir effectif est aux mains de forces financières globalisées".
Mais François Hollande est aussi en partie responsable de cette désacralisation, juge Stéphane Rozès, en ayant adopté à son arrivée au pouvoir une posture opposée au comportement qualifié d’ostentatoire et d’excessif de son prédécesseur de droite.
"Après Nicolas Sarkozy qui a abaissé la fonction, en insultant notamment un Français par un +Casse-toi pauvre con+, Hollande, lui, a eu le tort de l’avoir banalisée au travers de son idée de présidence normale. Or la +normalité+ n’est pas à la hauteur de la majesté de la fonction", souligne Stéphane Rozès.
Lors de la campagne présidentielle en 2012, M. Hollande avait indiqué vouloir être "un président normal" en réaction à un président sortant qu’il qualifiait d’"anormal".
Alain Mergier renchérit: "M. Hollande n’arrive pas à endosser la souveraineté de la fonction, qui était déjà affaiblie, en raison de sa personnalité fluctuante et insaisissable mais aussi en raison d’un problème idéologique: il n’y a plus de doctrine socialiste", juge-t-il.
Comment renouer avec la majesté de la fonction ? "Dire sa vision de la France et expliquer la mutation du monde dans laquelle s’inscrit la France", répond Stéphane Rozès.