Abdelaziz Bouteflika, candidat silencieux à sa succession
Le président algérien, qui ne s’est plus exprimé depuis près d’un an, a fait dire par son premier ministre qu’il briguera un quatrième mandat
Quelques heures plus tard, El Mouradia, le palais présidentiel, confirmait la nouvelle, transmise par l’agence de presse officielle algérienne APS, en indiquant que " le président de la République, M. Abdelaziz Bouteflika est candidat " et qu’il a " procédé au dépôt de sa lettre d’intention et au retrait auprès du ministère de l’intérieur des formulaires " nécessaires à toute candidature. Ces formulaires requièrent le parrainage de 60 élus ou de 60 000 citoyens répartis dans 25 wilayas (préfectures). Parmi les conditions requises, figure aussi un certificat médical de bonne santé attesté par un médecin assermenté.
Absent de la scène algérienne, M. Bouteflika reçoit les personnalités étrangères de passage dans sa résidence médicalisée proche d’Alger. A deux reprises courant février, en l’espace de quelques jours, il s’est impliqué dans des textes diffusés et lus en son nom pour fustiger une querelle fratricide au sein de l’armée qui a débordé sur la place publique.
Mais il ne s’est plus exprimé en public depuis son accident cardio-vasculaire d’avril 2013 qui l’avait contraint à se faire soigner en France et à rester absent 80 jours. " Le président Bouteflika est en bonne santé, il a les capacités intellectuelles et la vision nécessaire pour assumer cette responsabilité ", a assuré M. Sellal. " Le président n’est pas obligé de tout faire, les membres de ses comités de soutien peuvent prendre en charge cette action ", a toutefois ajouté celui qui fut son directeur de campagne lors des élections de 2004 et 2009, et qui est aujourd’hui président de la Commission nationale de préparation de l’élection présidentielle, en théorie impartiale.
Aussitôt la nouvelle connue, la presse privée a dénoncé, dans son ensemble, une candidature " par procuration ", et un passage en force. " Kiev n’est pas si loin ! "a titré le Quotidien d’Oran dans un édito signé K. Selim. " A l’heure où en Algérie tout va dans le sens de la reconduction du statu quo derrière le discours lénifiant de la préservation de la stabilité, l’Ukraine nous rappelle que l’incapacité nationale à dégager des issues aboutit au désastre ", écrit le journaliste pour qui l’Algérie " est en crise depuis 1988 ".
Entre désarroi, incompréhension et colère, les réactions se sont enflammées sur les réseaux sociaux. " Le pays ne vous appartient pas ", s’offusque Aïssat sur Twitter. Un autre rit jaune : " Avant, on faisait voter les morts, maintenant, c’est eux qui nous demandent de voter. " Le chroniqueur Kamel Daoud laisse éclater sa rage sur un blog : " Vous nous avez humiliés, vous nous avez ôté l’espoir, – … -vous nous avez fait vieillir avant le temps, vous nous poussez à l’exil. " Une pétition " contre le quatrième mandat " a été lancée. Dans sa grande majorité, cependant, la population observe et se tient à l’écart.
L’annonce de la candidature du chef de l’Etat sortant, même déléguée à son premier ministre, signifie la fin du match, nul n’imaginant en Algérie que M. Bouteflika puisse être battu. Alors que de nombreux compétiteurs s’étaient déjà déclarés – à l’exception des partis islamistes qui, sans attendre la décision du président, ont appelé pour la première fois au boycottage du scrutin –, plusieurs candidats devraient donc annoncer leur retrait de la course. Comme cela a déjà eu lieu lors des précédents scrutins, notamment en 1999 et 2004.
Soufiane Djilali, président du parti Jil Jadid (Nouvelle Génération) créé en 2012 après plusieurs tentatives et refus d’agrément, l’a déjà annoncé, en amont d’un conseil national prévu le 28 février. Samedi, M. Djilali envoyait ce tweet : " Nous ne sommes plus dans un processus électoral, nous sommes dans un processus de coup d’Etat ! "
Dans un entretien au Monde le 18 février, l’ancien premier ministre Ahmed Benbitour, premier candidat à s’être déclaré dès le mois de décembre 2012, ne faisait pas mystère qu’il prendrait la même décision dans l’hypothèse où la candidature de M. Bouteflika se confirmerait. " S’il se présente, le match est joué d’avance, disait-il. La population est fataliste, et c’est le concurrent le plus sérieux, le fatalisme. " Premier chef du gouvernement lors de la première élection de M. Bouteflika en 1999, M. Benbitour avait démissionné au bout d’un an, pour protester contre la " présidence qui voulait légiférer par ordonnance sur l’économie ". " Pour la première fois, poursuivait-il ce 18 février, il serait dans l’intérêt du pouvoir de partir de lui-même si l’on retient les leçons du Caire et de Tunis. "
Ali Benflis, candidat malheureux en 2004 contre M. Bouteflika, n’a, pour l’heure, pas réagi.
Jusqu’au bout, certains ont voulu croire à une alternative. En mai 2012, à Sétif, à l’occasion du 67e anniversaire de la terrible répression française contre des manifestants le 8 mai 1945, Abdelaziz Bouteflika avait appelé à la mobilisation de tous les Algériens pour les élections législatives deux mois plus tard. Puis, s’écartant un peu de son discours, il s’était adressé aux jeunes : " Ma génération est arrivée à son terme. – … – Nous avons fait des choses pour le pays. – … – Nous avons scolarisé, nous avons logé, nous avons soigné ceux qui en avaient besoin. Le pays est désormais entre vos mains, les jeunes, prenez-en soin. " Un message interprété alors prématurément comme une fin de mission. Le dernier, aussi, prononcé en public devant la foule. Dimanche, à Alger, quelques voix, rares, persistaient à espérer un désistement de dernière minute d’ici au 17 avril.