Si la responsabilité de l’EI se confirmait, cette attaque serait la première commise sur le sol turc depuis l’émergence du groupe jihadiste, qui contrôle depuis plus d’un an d’importantes portions des territoires irakien et syrien, certains proches de la Turquie.
D’une rare violence, l’explosion a dévasté à la mi-journée les jardins du centre culturel de Suruç, où s’étaient regroupés des étudiants désireux de participer à la reconstruction de la ville de Kobané, de l’autre côté de la frontière, détruite lors de la bataille entre l’EI et les milices kurdes de Syrie entre septembre et janvier derniers.
Les images prises juste après l’attentat montrent des amas de corps démembrés et ensanglantés, à même le sol noirci par la déflagration.
"La ville est plongée dans le chaos", a raconté à l’AFP un de ses habitants, Mehmet Celik.
Encore provisoire, le bilan de l’attaque fait état d’au moins 31 morts et d’une centaine de blessés, a indiqué sous couvert de l’anonymat à l’AFP un responsable gouvernemental. Le gouverneur local Abdullah Ciftçi a de son côté indiqué qu’une vingtaine de blessés se trouvaient toujours lundi soir dans un état "critique".
En visite dans la partie nord de l’île de Chypre, le président Recep Tayyip Erdogan a rapidement dénoncé une "attaque terroriste". "Je maudis et condamne les auteurs de cette violence au nom de mon peuple", a-t-il dit devant la presse.
Son Premier ministre Ahmet Davutoglu a clairement mis en cause le groupe Etat islamique. "Les premiers éléments montrent que l’explosion est un attentat suicide et qu’il a été perpétré par Daesh", l’acronyme arabe de l’EI, a-t-il déclaré devant la presse à Ankara. "Cette attaque nous vise tous", a-t-il ajouté.
Plusieurs médias turcs ont affirmé que l’auteur de l’attaque était une jeune femme d’une vingtaine d’années, mais cette information n’a pas été confirmée par M. Davutoglu.
Peu après la première explosion, une autre attaque à la voiture piégée a tué deux miliciens kurdes dans le sud de Kobané, juste de l’autre côté de la frontière, a rapporté l’Observatoire syrien des droits de l’Homme (OSDH).
Cette attaque quasi-simultanée côté syrien "renforce nos suspicions" envers l’EI, a indiqué sous couvert d’anonymat à l’AFP un responsable turc.
Critiques contre Ankara
L’attentat suicide de Suruç intervient quelques semaines après le renforcement par les autorités turques de leur dispositif militaire à la frontière syrienne, suite à la victoire remportée par les milices kurdes de Syrie face aux jihadistes dans la bataille pour le contrôle d’une autre ville frontalière syrienne, Tall Abyad.
Selon les analystes, ce déploiement de force visait à la fois à contrer l’EI mais aussi à bloquer l’avancée dans le nord de la Syrie des forces kurdes, proches du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui mène depuis 1984 une rébellion contre Ankara.
Mais M. Davutoglu avait alors écarté toute intervention imminente et "unilatérale" de ses troupes. Il a toutefois indiqué lundi que le déploiement de renforts allait se poursuivre.
Les pays occidentaux reprochent régulièrement au gouvernement d’Ankara sa neutralité, voire sa complaisance, vis-à-vis des organisations radicales en guerre contre le régime du président syrien Bachar al-Assad, dont l’EI.
La Turquie a toujours démenti ces allégations, mais elle a jusque-là refusé de prendre part à la coalition militaire antijihadiste dirigée par les Etats-Unis.
Sous le feu des critiques de ses alliés, elle a toutefois resserré ses contrôles depuis un an pour empêcher le transit par son sol des recrues étrangères de l’EI en route vers la Syrie, et mené ces dernières semaines des opérations de police contre ces filières.
"La Turquie a toujours pris des mesures contre Daesh et les organisations équivalentes", a répété lundi le chef de son gouvernement.
Selon les médias turcs, plusieurs sites internet proches des jihadistes ont menacé ces derniers jours Ankara de représailles.
La Maison blanche, le secrétaire général de l’Otan Jens Stoltenberg et le chef de la diplomatie française Laurent Fabius ont fermement condamné l’attentat et appelé à un renforcement de la coopération dans la lutte contre le groupe EI. Proche de M. Erdogan, le président russe Vladimir Poutine a dénoncé "un acte barbare".
La ville de Suruç accueille des milliers de réfugiés kurdes de Syrie qui ont quitté la région de Kobané lors de l’offensive lancée par les combattants d’EI en septembre.
Cette attaque et les violents combats qui ont suivi pendant quatre mois ont provoqué l’exode de quelque 200.000 personnes vers la Turquie. Selon les autorités locales turques, seuls environ 35.000 Syriens ont depuis regagné leur pays.
Chassé de Kobané fin janvier, l’EI s’y était à nouveau manifesté le mois dernier en menant trois attentats suicide. Les combats qui ont suivi ont tué plus de 200 civils.