Tunisie : le président Saïed face à une résistance intérieure et des pressions extérieures
Au cours de cet intervalle, le pays semble divisé en raison du « manque de visibilité » qui fait encore cruellement défaut du fait du retard enregistré dans la nomination d’un chef de gouvernement, de l’annonce d’une feuille de route et de la mise à terme de la situation d’exception.
Les fortes pressions extérieures et intérieures exercées sur le président tunisien corroborent un peu les craintes des différents acteurs politiques et de la société civile notamment d’un « retour à l’autoritarisme » à travers des mesures jugées « arbitraires » et qui concernent notamment les restrictions aux voyages imposées aux chefs d’entreprise et à certains hauts cadres de l’Etat et la comparution d’un nombre d’élus devant des tribunaux militaires.
Résultat, le chef de l’Etat qui, le 25 juillet, a pris une longueur d’avance en surprenant tout le monde et en mettant à genoux notamment le mouvement Ennahdha (islamiste), risque actuellement d’être rattrapé par le temps.
Le fort élan de soutien dont il a profité aux premiers temps est en train de s’effriter. De nombreuses parties qui ont applaudi les premiers jours la délivrance du pays du pouvoir islamiste, commencent à revoir leurs positions.
La puissante centrale syndicale, l’Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) et l’Union Tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat (patronat), certains partis politiques comme « El Jomhouri » et « Ettayar » (progressistes) ainsi que la société civile sont sortis de leur silence et marquent leur distance vis-à-vis de cette situation.
Ce qui a ravivé les craintes, ce sont à l’évidence les dernières déclarations du président de la république et de l’un de ses conseillers. Lors d’une visite nocturne le 12 septembre à l’avenue Habiba Bourguiba au centre de Tunis, M. Saïed a évoqué une réforme à venir de la Constitution de 2014.
Ce qui a surpris le plus c’est son insistance sur le fait que « les Constitutions ne sont pas éternelles » et du coup, soutient-il, amender la Constitution, renvoie à l’idée que « la souveraineté appartient au peuple ». Son conseiller Walid Hajjam a été plus explicite en précisant les intentions du Président.
Pour lui, « l’idée est d’aller vers un régime plus juste qui donne la possibilité aux pouvoirs d’exercer leurs compétences comme il se doit. Nous nous orientons vers un régime présidentiel ».
A cet effet, de nombreux partis politiques ont exprimé leur refus d’amender la Constitution dans le contexte actuel.
Le parti « Al-Irada al-Chabiaa » (volonté du peuple), a affirmé son « refus » des tentatives de réviser la Constitution « en dehors des mécanismes constitutionnels ».
De son côté, le parti « Al Joumhouri » a exprimé son « rejet catégorique » des appels à suspendre la Constitution, soulignant que toute modification du système politique ou du système électoral doit faire l’objet d’un dialogue ouvert et apaisé.
Le Parti Destourien Libre d’Abir Moussi a appelé, quant à lui, le président de la République à l’ouverture et au dialogue avec les députés qui appartiennent aux forces progressistes, en les associant à la réalisation des revendications des Tunisiens, dans le respect de la Constitution.
De son côté, l’ancien ministre et ancien secrétaire général du parti Attayar, Mohamed Abbou, a exprimé son opposition à toute révision de la Constitution en dehors de ce texte.
L’UGTT a appelé à des élections anticipées, faisant valoir qu’il faudra d’abord élire un parlement qui aura à statuer sur un éventuel changement du système politique et de la Constitution.
En même temps, un certain nombre de députés, d’avocats et de militants de la société civile ont publié une pétition dans laquelle ils expriment leur adhésion à la Constitution de 2014 et leur rejet de toute tentative de la contourner ou de s’en écarter.
En plus de la grogne intérieure, le président de la république fait face à des pressions extérieures de plus en plus vives venant des partenaires de la Tunisie, notamment les Etats Unis et des pays de l’Union Européenne.
La visite le 4 septembre 2021 en Tunisie d’une délégation de sénateurs américains, conduite par Chris Murphy, a donné le tempo. Au terme de sa rencontre avec le chef de l’Etat, le sénateur américain a publié une série de tweets dans laquelle il a affirmé avoir appelé à un retour urgent au processus démocratique et à mettre un terme, rapidement, à l’état d’urgence.
Les ambassadeurs des pays du G7 en poste en Tunisie ont appelé de leur côté le président tunisien à « désigner un nouveau chef du Gouvernement dans « les plus brefs délais » et à ramener le pays dans le cadre constitutionnel qui accorde au Parlement un rôle de premier plan ».
Le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a fait part lors de son récent déplacement à Tunis de ses « appréhensions » au président Saïed, l’appelant à rétablir l’activité parlementaire et garantir « l’ancrage démocratique » du pays.
Au moment où la polémique enfle sur toutes ces questions, le pays attend toujours la nomination d’un chef de gouvernement. Le nom de la personnalité fait l’objet de grandes spéculations.
Ce qui est certain, cette personnalité aura la lourde tâche de remettre de l’ordre dans les affaires du pays qui ont été 11 ans durant géré d’une manière « calamiteuse ».