Faut-il un "concordat" ?
"Un nouveau concordat ?" Le président Emmanuel Macron a posé la question – sans y répondre – dans un entretien au Journal du dimanche, annonçant qu’il posera "les jalons de toute l’organisation de l’islam de France" au "premier semestre 2018".
Des politiques, comme le président de l’UDI Jean-Christophe Lagarde, font valoir que réactiver le concordat, en vigueur au XIXe siècle, permettrait à la puissance publique d’intervenir dans le financement de la deuxième religion de France, ce qui n’est plus possible depuis la loi de 1905 séparant les Eglises et l’Etat. Et ainsi de lutter contre "les influences étrangères".
"On ne peut pas réfléchir à une évolution de ce type-là sans mesurer les risques de tension que cela susciterait. Il faudrait une très grande pédagogie…", souligne cependant Didier Leschi, auteur de "Misère(s) de l’islam de France" (Cerf), anticipant une vive opposition du camp laïque.
Et sur quelle base favoriser une religion par rapport à une autre ? "Si l’Etat décide de donner de l’argent public au culte musulman, il faudra qu’il subventionne aussi par exemple le protestantisme évangélique, qui affiche un manque de lieux de culte pour ses fidèles plus important", fait valoir ce haut fonctionnaire.
Reste la possibilité de créer une faculté de théologie musulmane d’Etat à Strasbourg, dans ce territoire d’Alsace-Moselle qui, lui, est encore en régime concordataire, afin notamment de former des imams avec de l’argent public.
Le président de la Fondation de l’islam de France, Jean-Pierre Chevènement, juge ce projet "parfaitement possible", alors que Bernard Cazeneuve, l’un de ses successeurs au ministère de l’Intérieur, avait estimé en 2016 qu’une telle décision nécessiterait "une réforme constitutionnelle hasardeuse".
Consistoire musulman, "grand imam de France": est-ce réaliste ?
Face à un Conseil français du culte musulman (CFCM) peu représentatif et affaibli par les rivalités entre grandes fédérations liées à des pays étrangers (Algérie, Maroc et Turquie), l’idée ressurgit d’appliquer à l’islam des recettes qui ont fait leur preuve, depuis deux siècles, pour le judaïsme: un consistoire et un "grand imam de France", sur le modèle du grand rabbin.
Est-ce adapté à l’islam français, très majoritairement sunnite, non hiérarchisé ? "Un grand imam ou mufti, cela fait méthode importée des Etats musulmans, dans des configurations généralement autoritaires, cela me semble anachronique et décalé. En outre, personnaliser la parole musulmane autour d’un imam risquerait de favoriser l’émergence de contre-islams qui s’organiseraient en réaction", avertit le sociologue Vincent Geisser.
Que compte faire l’Etat ?
Le gouvernement veut mettre à contribution les acteurs de terrain, appelés à rencontrer les préfets à partir de mars. Une façon d’aller plus loin que l’"instance de dialogue" active en 2015 et 2016, jugée trop parisienne.
"Ce qui est important, c’est d’écouter 2 à 3.000 personnes, au-delà des dirigeants habituels, au lieu d’en écouter 120", indique une source proche de l’Intérieur.
"On se pose enfin la question de la représentation des cadres religieux (imams), alors que jusqu’alors on n’a cherché qu’à représenter les cadres associatifs", les gestionnaires de mosquées, se réjouit cette source. Des initiatives locales voient le jour, à l’image d’un large "conseil théologique des imams du Rhône" réuni le 4 février.
Quid du CFCM ? "Il faut abandonner l’idée d’avoir une structure représentative des musulmans de France, mais plutôt reprendre le modèle de la Fédération protestante, qui est une agrégation de sensibilités", explique Bernard Godard, ancien "Monsieur islam" de la place Beauvau.
Cette instance n’a toutefois pas renoncé à peser: elle souhaite que l’association cultuelle prévue pour financer mosquées et imams via différentes ressources (halal, pèlerinage, aumône légale) le fasse sous son autorité. "On souhaite être force de propositions", assure l’ancien président du CFCM Anouar Kbibech, qui appelle à "faire attention aux fausses bonnes idées".